1772-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

Je me doutais bien que Madlle Madelon prenait fort mal son tems dans son indiscrète requête; et je n’en avais fait part à Vôtre Altesse sérénissime, que dans la crainte où j’étais qu’elle ne choisit un autre ambassadeur, et que vous ne fussiez compromis.
Vous pouvez être sûr que je garderai un secret inviolable sur tout ce qu’elle a pu me confier. Je suis pénétré des extrêmes bontés dont Vôtre Altesse Sérénissime n’honore; je lui serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie, et certainement j’aurais volé dans vos états, je serais venu me mettre à vos pieds si mon âge et mes maladies me l’avaient pu permettre.

La demande en question est d’autant plus indiscrète qu’étant sur le point de vous marier vous avez des dépenses très considérables à faire, et que je ne crois pas qu’on vous donne beaucoup d’argent comptant en dot. Vous allez commencer, Monseigneur, une nouvelle vie, une nouvelle maison, de nouveaux engagements. Vous trouverez le Roi vôtre nouvel allié plus puissant que jamais. Aussi est-il plus gai qu’il ne l’a jamais été. Il daigne m’écrire les lettres du monde les plus plaisantes. Je conviens qu’on doit être de bonne humeur quand on possède le port de Dantzic; il est un peu plus fréquenté que celui de Versoy construit il y a deux ans sur le lac de Geneve. Ce port n’a jamais eu qu’un bateau, et ce bateau n’a jamais transporté que des pierres et du fumier, mais en récompense le port coûte environ trois cent mille écus d’Allemagne. Il n’y a point de princesse de L’Empire qui ait une pareille dot.

Je me mets aux pieds de Vôtre altesse sérénissime avec le plus profond respect; et puisque vous me le permettez, avec le plus tendre attachement.

V…