11e 7bre 1772
Je suis inquiet sur bien des choses, mon cher ange, quoiqu’à mon âge on doive être tranquile.
Ce n’est point la paix entre l’empire ottoman et l’empire Russe, ce n’est point la révolution de Suède qui altère mon repos, c’est le petit paquet de la Crête dont vous ne me parlez jamais, et dont je n’ai aucune nouvelle. Mais comme le malheur est bon à quelque chose, je viens de corriger encor cet ouvrage en le fesant recopier, et j’espère qu’à la fin il méritera toute vôtre indulgence. Le Kain est actuellement à Lyon; s’il vient à Ferney je le chargerai du paquet, et tout sera réparé, mais j’aurai toujours sujet de craindre que la pièce ne soit tombée entre des mains infidèles qui en abuseront.
Ce que je crains encor plus c’est le mauvais goût, c’est la barbarie dans laquelle nous retombons, c’est l’avilissement des spectacles comme de tant d’autres choses.
Voicy un autre sujet de mon étonnement et de mon trouble mortel.
Avez vous jamais entendu parler d’un abbé Pinzo, qu’on dit avoir été autrefois camarade d’école du pape? On prétend que son camarade ne trouvant pas ses opinions ortodoxes l’a fait mettre en prison, et qu’il s’en est évadé. Il court une Lettre très insolente, très folle, très insensée, très horrible de cet abbé Pinzo à sa sainteté.
Vous vous étonnez d’abord que cette affaire m’inquiète, mais la raison en est qu’on m’attribue la lettre, et qu’on l’a envoiée au pape en lui disant qu’elle était de moi. Voilà une tracasserie d’un genre tout nouveau.
Je vous suplie, mon cher ange, de vous informer de ce que c’est que cet abbé Pinzo et sa Lettre. Je ne doute pas que quelques ex-jesuites ne fomentent cette calomnie. Ces bonnes gens sont les premiers hommes du monde quand il s’agit d’imposture. Je sais combien cette accusation est absurde; mais l’absurdité ne rassure pas. Il faut donc toujours combattre jusqu’au dernier moment. Voilà tout ce que vaut cette malheureuse fumée de la réputation. Allons donc, combattons, j’ai encor bec et ongle.
J’écrivis l’année passée à Boileau je viens d’écrire à Horace tout ce que j’ai sur le cœur; je vous l’enverrai pour vous amuser. Il y a loin d’Horace à l’abbé Pinzo. Je me mets à l’ombre des ailes de mes anges.
V.