1772-12-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, il faut que je vous dise que les deux polissons nommés Blancardi sont à Lyon.
Ils m’ont écrit un volume prodigieusement fou et absurde. Ils prétendent que Mr Le Marquis de Felino a été obligé de leur envoier de l’argent. C’estle malheur de ma position sur le chemin d’Italie, d’Allemagne, de Savoye et de Suisse d’être continuellement exposé à recevoir de tels chevaliers errants et d’industrie. J’ai beau m’en débarasser autant que je le puis, si on les chasse par la porte ils rentrent par la Cheminée.

Je fais toujours des réfléxions profondes sur la Crête. Je vois que je joue mon argent comptant contre des fiches. Mais après tout, cet argent comptant n’est que de la fumée. C’est la fumée de la gloire, dit-on; d’accord. Mais on dit aussi que les siflets font plus de peine que les battements de mains ne font de plaisir. On dit que si celà est joué froidement, me voilà honni sans rémission, que nos seigneurs du tripot n’ont pas encor commencé une seule répétition, qu’ils se soucient fort peu de faire valoir une pièce nouvelle.

La scène de Sertorius et de Pompée a de grandes beautés, concedo. Mais que le reste de la pièce soit passable, nego. Oh! comme je serais bafoué si je donnais une telle pièce aujourd’hui! quel rôle je jouerais dans les journaux!

Mais venons à des choses plus intéressantes. Est-il vrai que le Roi d’Espagne a retranché environ quatre cent mille livres de rente à vôtre Infant!

Comment se porte surtout Madame D’Argental?