1760-11-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.
Telle est dans nos états la loy de l'himénée,
C'est la relligion lâchement profanée,
C'est la patrie enfin que nous devons vanger.
L'infidèle en nos murs appelle l'étranger, etc.

Il faut avouer mes divins anges que je suis l'homme aux inadvertances. On change un vers, et on oublie d'envoier les corrections devenues nécessaires aux vers suivants; et on fatigue ses anges horriblement. On ne sait plus où l'on est. Il faut recopier la pièce, tous les rôles, c'est la toile de Pénelope. Je suis à vos genoux, je vous demande pardon, je meurs de honte. Il y a plus de cent vers corrigez dans cette maudite chevalerie. Tout cela est épars dans mes lettres. Si vous pouvez attendre, je crois que le meilleur party est de vous envoier la pièce bien recopiée. Vous êtes les maitres de tout, mais en cas que vous fassiez imprimer, je vous demande toujours en grâce de m'envoier les feuilles.

J'apprends que mrs les dévots, et messieurs de Pompignan se sont baucoup remuez sur la nouvelle que j'étais chez Laleu à Paris. J'apprends que les dévotes sont fâchées de voir une Corneille aller dans la terre de réprobation, et qu'elles veulent me l'enlever. A la bonne heure: elles luy feront sans doute un sort plus brillant, un établissement plus solide dans ce monde cy et dans l'autre, mais je n'aurai eu rien à me reprocher. Nous verrons qui l'emportera de cette caballe ou de vous. Vous devez savoir que tout cela a été traitté pour et contre au lever du roy. Chacun a dit son mot. Voylà de grandes affaires, mais Pondicheri est plus important.

Que dites vous de la Didon de M. le Franc de Pompignan suivie du fat puni? on est bien drôle à Paris.

Mille tendres respects.

V.