1759-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Vasserot de Châteauvieux.

Voicy le fait.

Le nommé Bourgeois, engagé à Lauzane pour jardinier sous la convention expresse que je le renverrais si je n'étais pas content de luy, convention dont je peux faire serment, a été non seulement surpris par melle Maton vendant les légumes de mon jardin, mais a causé mille scandales dans ma maison, n'a jamais travaillé, et a bu le vin de Bourgogne qu'on a volé à mr le professeur Pictet. On l'a chassé. Il mérite punition, et c'est une très mauvaise politique à Mrs les magistrats de Geneve de soufrir que les domestiques leur fassent la loy. Ce n'est pas le moyen de plaire au peuple, mais d'être écraséz par le peuple. Cette ville est peutêtre la seule au monde, où les domestiques soient les maitres. Si le nommé Bourgeois s'était conduit ainsi à Tourney ou à Fernex, je l'aurais fait mettre au cachot. Je déteste le despotisme, mais il faut subordination et justice. Voylà mon code.

Maintenant je vous supplie, Mon cher mon[sieur d]e[voul]oir bien me dire comment il faut [ ] un jardinier [ ] qui est huit jours entiers sans travailler. Peut on alors présenter requête contre luy? et demander permission de le renvoyer poliment?

Aureste monsieur, mademoiselle Maton non seulement a pris le jardinier en question en flagrant délit de vol domestique, mais melle Genou, étrangère, y était présente. Elle est à Paris. Nous ferons venir sa déposition par devant notaire.

Il est d'une extrême conséquence dans une grosse maison, de n'être pas l'esclave de ceux qui sont à nos gages.

J'attends vos ordres et vos avis. Submisse.

V.

A l'égard de Chouet il a le vin fripon.