1772-05-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Mon héros,

L’impératrice de Russie qui me fait l’honneur de m’écrire plus souvent que vous, me mande par sa lettre du dix avril qu’elle enverra en Sibérie les prisoniers français.
On les croit déjà au nombre de vingt quatre.

Il se peut qu’il y en ait quelques uns aux quels vous vous intéressiez. Il se peut aussi que le ministère ne veuille pas se compromettre en demandant grâce pour ceux dont l’entreprise n’a pas été avouée par lui.

Quelquefois on se sert (et surtout en semblables occasions) de gens sans conséquence. J’en connais un qui n’est de nulle conséquence et que même quelquefois vous appelâtes inconséquent. Il serait prest à obéir à des ordres positifs, sans répondre du succès, mais assurément il ne hazarderait rien sans un commandement expr\\g\\es. Il se souvient qu’il eut le bonheur d’obtenir la liberté de quelques officiers suisses pris à la journée de Rosback. Il ne se flatte pas d’être toujours aussi heureux, mais il est plus ennemi du froid que des mauvais vers, et tient que des Français sont très mal à leur aise en Siberie.

Il attend donc les ordres de Monseigneur le maréchal, supposé qu’il veuille luy en donner de la part du ministre des affaires étrangères ou de celui de la guerre.

Oserais je Monseigneur vous demander ce que vous pensez du procès de M. de Morangés? Il court dans Paris la copie d’une lettre de moy sur cette affaire. Cette copie est fort infidèle, et celui qui l’a divulguée n’est pas discret. Quoi qu’il en soit je me mets aux pieds de mon héros avec soumission profonde.

V.