1776-04-04, de Étienne Jules Gastebois Desnoyers à Charles Gravier, comte de Vergennes.

Monseigneur,

J'ai reçu la lettre particulière que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire le 24 du mois qui vient de finir.

Votre Excellence m'ordonne de prévenir dans les papiers publics l'insertion d'une Lettre de M. Voltaire à l'auteur de la Brochure sur les Droits féodaux. Elle m'ordonne de plus, de lui mander les démarches que j'aurai faites pour remplir cet objet avec succès.

Je ne puis mieux obéir, Monseigneur, qu'en prenant la liberté de vous addresser la copie d'une des Lettres que j'ai écrites aux Directeurs des Publications périodiques. J'y joins la copie d'une Lettre arrivée par le dernier courier de France au gazetier de la Haye, et qu'il m'a remise. J'aurois pu prendre la voie de l'autorité en intéressant à l'exécution de vos ordres les Magistrats des villes actuellement rassemblés, tant aux Etats Généraux, qu'aux Etats de la Province. Mais leur dénoncer un Délit avant qu'il soit commis, leur donner matière à réfléchir sur nos affaires dans les assemblées de leur Nation: cette démarche m'a paru d'une conséquence trop grande et trop sujette à l'éclat, c'est à dire peut-être trop conforme au désir de quelques Ecrivains en France. Je crois que la voie que j'ai prise suffira. J'ai lieu de compter sur la déférence et le concours des particuliers à qui j'ai écrit et je ne doute pas que leurs réponses qui vont m'arriver successivement ne justifient cette opinion.

J'ignore, Monseigneur, si on s'est assuré que les écrivains de France n'ont pas ici des relations avec les auteurs des feuilles publiques. J'ignore si ces relations sont toujours dirigées par l'esprit de paix et de vérité, se elles ne fermenteront pas avec le temps chez tous les gazetiers y compris celui de Clèves qui est dans notre voisinage. Ce manège n'aurait sûrement pas votre approbation. Il ne [ . . . ] pas non plus notre confiance pour des plumes sur l'autorité desquelles beaucoup de particuliers ne risqueraient pas la gageure d'une course de chevaux.

Et ces plumes veulent faire des leçons à une monarchie qui survit aux brouillons de tous les siècles! . . . .

P. S. La lettre de M. Voltaire du 8 Mars, Monseigneur, avoit effectivement été envoyée aux gazetiers des différentes villes de Hollande. J'en ai la preuve dans la remise et l'envoi qui m'en sont déjà faits dans l'instant de la part de quelques uns d'entre eux que les autres imiteront. Votre Excellence connoit cette lettre, et l'a jugée, ainsi que tout ce qui peut y avoir politiquement trait.