ce 3 [14 n. s.] d’Avril v. st: 1772
Monsieur, Votre lettre du 12 Mars m’a causée un contentement bien grand.
Rien ne saurait assurer de plus heureux à notre communauté que ce que Vous me proposés. Nos Demoiselles jouent la Tragédie et la Comédie: elles ont donée Zaire l’année passée, et pendant ce carnaval elles ont représentée Semire, Tragédie Russe, et la meilleure de Mr: Somorocof dont Vous aurés entendu parler. Ah! Monsieur Vous m’obligerés infiniment si Vous entreprenés en faveur de ces aimables enfans, le travail que Vous nonés un amusement, et qui coûteroit tant de peine à tout autre. Vous me donerés par là une marque bien sensible de cette amitié dont je fais un cas si distingué. D’ailleurs ses Demoiselles, je dois l’avouer, sont charmantes de l’aveu de tout ceux qui les voyent, il y en a déjà de quatorze à quinze ans; je suis persuadée qu’elles s’attireroient Votre approbation, si Vous les voyés. J’ai été plus d’une fois tentée de Vous envoyer quelques billets que j’ai reçuë d’elles et qui assurément n’ont pas été composée par leurs maitres parcequ’ils sont très enfans, mais dès aprésent on y voit avec l’innocence l’agrément et la guayeté de leur esprit répandu sur chaque ligne. Je ne sais si ce bataillon de fille come Vous le nomée, produira des Amazones, mais nous somes très éloignés d’en vouloir faire de religieuses, et de les rendre étiques à force de brailler à l’église la nuit come cela ce pratique à St: Cyr. Nous les élevons au contraire pour les rendre les délices des familles où elles entreront, nous ne les voulons ni prudes ni coquetes, mais aimables et en état d’élever leurs propres enfans et d’avoir soins de leurs maison. Dans les pièces de Théâtre pour distribuer les rôles, voici coment on s’y prend; on leur dit qu’une telle pièce sera joué, et on leur demande qui veut jouer un tel rôle. Il arrive souvent qu’une chambrée entière apprend le même rôle, après quoi on choisi celle qui s’en acquite le mieux. Celles qui jouent les rôles d’homes, ont dans les Comédies un espèce de frac long, que nous appellons, la mode de ce pays là. Dans la Tragédie, il est aisé d’habiller nos héros convenablement et pour la pièce et pour leur états. Les viellards sont les rôles les plus difiçiles et les moins bien rendus. Une grande peruque et un bâton ne ride point l’adolescence, ses rôles ont été un peu froid jusqu’ici. Nous avons eu un petit maitre charmant pendant ce carnaval, un Blaise original, une Dame de Croupillac admirable, deux soubrete et un Avocat Patelin à ravir, et un Jasmin très intelligent.
Je ne sais coment Moustapha pense sur l’article de la Comédie, mais il y a quelques années qu’il done au monde le spectacle de ses défaites sans pouvoir ce résoudre à changer de rôle. Nous avons ici le kalga sultan, frère du Chan très indépendant de la Crimée, par la grâce de Dieu et les armes de la Russie. Ce jeune Prince Tartare est d’un caractère doux, il a de l’esprit, il fait des vers Arabes, il ne manque aucun spectacles, il s’y plait, il va à ma comunauté les Dimanches après diné, lorsqu’il est permis d’y entrer pendant deux heures, pour voir danser les Demoiselles. Vous dirés que s’est mener le Loup au bercail, mais ne Vous éffarouchés point, voici come on s’y prend. Il y a une très grande salle dans laquelle on a placé un double rang de ballustrade, les enfans dansent dans l’intérieur, le monde est rangé autour des balustrades, et s’est l’unique occasion que les parents ont de voir nos Demoiselles auxqu’elles il n’est point permis de sortir de douze ans de la maison.
N’ayés pas peur Monsieur, Vos parisiens qui sont à Cracovie ne me feront pas grand mal, ils jouent une mauvaise farce qui finira come les Comédies Italienes.
Il est à appréhender que cette malheureuse Histoire du Danemark ne sera pas la seule qui s’y passera.
Je crois avoir réponduë Monsieur à toutes Vos questions, donés moi au plutôt des nouvelles satisfaisantes sur Votre santés, et soyés persuadé que je suis toujour la même
Caterine