1778-01-26, de Henri Louis Lekain à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher maître,

Il est aisé de remarquer au ton de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, que l'on vous a prodigieusement aigri contre moi; vous le déguisez quelquefois avec une politesse à laquelle je suis très sensible.
Je connais les auteurs de cette trahison, et je ne m'en vengerai qu'en cherchant à vous plaire jusqu'à mon dernier moment. Je jouerai votre Hermite, quoique ce rôle ne soit pas de mon emploi, qu'il appartienne à Brisard, et je vous promets d'y mettre tout ce que j'ai de savoir. Je n'ai pourtant ni le ton, ni le caractère, ni la tournure de ces sortes de rôles; mais j'ai à cœur que vous n'ayez pas à vous plaindre de moi: heureux et mille fois heureux, si j'y puis réussir! Je ne m'en flatte pas, et je donnerai, sans doute, beau jeu à tous ceux qui m'ont voulu perdre auprès de vous. Il n'importe; mon obéissance aveugle à faire ce que vous désirez, me tiendra lieu d'excuse auprès de vous.

Il n'y a pas d'apparence que je pousse plus loin ma carrière; mais la fin en sera glorieuse si j'ai mérité de conserver votre estime et votre amitié.

Mon mariage avec mademoiselle Bertin est une de ces mauvaises plaisanteries que l'on imagine dans Paris, lorsque les papiers publics manquent de matière. Selon eux, j'étais déjà marié avec cette demoiselle, et moi seul je n'en savais rien; il y a plus, c'est que je ne la connais que de vue: il n'est donc pas étonnant que je ne vous aie point fait part d'une chose qui n'existait pas. Mais ce qui ne cessera d'être en moi, c'est le dévouement le plus respectueux, avec lequel je serai toute ma vie,

mon cher maître,

votre très humble et très obéissant serviteur,

Lekain