1772-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange a sans doute reçu la lettre écrite au quinque, et je ne puis rien ajouter au verbiage de mr du Roncel.
Vraiment je vous enverrai tant de neuvièmes que vous voudrez, mais comment, et par où? Les clameurs commencent à s’élever, et il y a des personnes qui n’osent pas voyager. Si vous ne trouvez pas une voie, vous qui habitez la superbe ville de Paris, comment voulez vous que j’en trouve, moi qui suis chez les antipodes dans un désert entouré de précipices?

Vous m’avez ôté un poids de quatre cents livres qui pesait sur mon cœur, en me disant que mr D’Albe avait toujours de la bonté pour moi. Mais ce n’est pas assez, et je mourrai certainement d’une apoplexie foudroyante s’il n’est pas persuadé de mon inviolable attachement, et de la reconnaissance la plus vive que ce cœur oppressé lui conserve. L’idée qu’il en peut douter me désespère. Je l’aime comme je l’ai toujours aimé, et autant que j’ai toujours détesté et méprisé des monstres noirs et insolents, ennemis de la raison et du roi.

Florian qui pleurait ma nièce, et qui est venu chez moi toujours pleurant, a trouvé dans la maison une petite calviniste assez aimable et au bout de quinze jours il est allé se faire marier vers le lac de Constance par un ministre luthérien. Ce mariage là n’est pas tout à fait selon les canons, mais il est selon la nature dont les lois sont plus anciennes que le concile de Trente.

Est il vrai que mr le duc de la Vrilliere se retire? J’en serais fâché, il m’a témoigné en dernier lieu les plus grandes bontés. Ayez celle de me mander si vous voyez déjà des arbres verts aux Tuileries, des fenêtres de votre palais. Je me mets de ma chaumière au bout des ailes de mes anges, avec effusion de cœur.