1772-03-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques de Rochefort d'Ally.

Mon cher Cristin m’a montré, monsieur, la lettre que vous lui avez écrite.
Vous lui avez fait une belle peur, et à moi encore davantage. Je ne serais pas étonné qu’en effet il y eut de ces incidents singuliers dans les mauvaises pièces qu’on joue aujourd’hui sur vôtre théâtre. Vous dites à Christin que vous m’avez écrit sous l’enveloppe de mr Marin; je n’ai point reçu cette lettre. Il faut que quelque malin enchanteur ait escamoté ce que vous m’écriviez. Cela redouble encore mes inquiétudes. Je suis un peu comme Atticus attaché à César et à Pompée, et par conséquent fort embarrassé. Je trouve la comparaison d’Atticus fort bonne, car cet Atticus était malingre comme moi, mais ne pouvant plus supporter la vie, il se tua, et je ne me tue point. Je suis seulement confondu de ce que César qui vous croit probablement ami de Pompée vous a défendu de rire devant lui.

Je vous envoie un 9e dont plusieurs endroits vous feront rire quand vous n’aurez rien à faire. Pour madame dixneufans, on dit qu’elle n’a été occupée que de danser chez mme la dauphine. Tâchez tous deux de venir voir madame votre mère cet été, et de faire chez nous une longue pause.

Embrassez tous deux pour moi mon cher d’Alembert quand vous le verrez. L’oncle et la nièce vous font leurs plus tendres compliments.

V.