à Ferney 28e janv: 1772
Mon héros,
Je viens de lire dans le discours de Dubelloi un trait de vous que je ne connaissais pas, et qui est bien digne de vous.
Mon héros m’avait caché celui là. Il entrera pourtant dans l’histoire malgré vous. Quand vous avez fait une belle action vous ne songez plus qu’à vous divertir, et vous semblez oublier la gloire comme si elle était ennuieuse. Cependant vous deviez bien me dire un mot de cette avanture, car elle est aussi plaisante que glorieuse et tout à fait dans vôtre caractère.
Je n’ai pas trop consulté vôtre caractère quand je vous ai ennuié de requêtes pour des choses dont je me soucie assez médiocrement, mais comme tout le monde jusqu’aux Suisses, sait que vous m’honorez de vos bontés depuis environ cinquante cinq ans, on m’a forcé de vous importuner.
Je présume que vous avez daigné disposer Monsieur le Duc D’Aiguillon en faveur de ma Colonie, car Mr D’Ogni lui donne toutes les facilités possibles. Ma colonie réussit, dumoins jusqu’à présent. Elle travaille dans mon village pour les quatre parties du monde, en attendant qu’elle meure de faim.
Je n’ai nulle nouvelle de la succession de Madame la princesse de Guise. Je ne sais rien de ce qui se passe en France; mais je suis fort au fait des Tures et des Russes.
Que dites vous du Roi de Prusse qui m’a envoié un poëme en six chants contre les confédérés de Pologne? Les contributions qu’il tire de tous les environs de Dantzic pouront servir à faire imprimer son poëme avec de belles estampes et de belles vignettes.
Le Roi de Pologne n’est pas comme vous qui ne m’écrivez point, il m’a écrit une lettre pleine d’esprit et de plaisanterie sur son assassinat. Il est digne de règner, car il est philosophe. Croiriez vous qu’une partie des confédérés a proposé pour Roi le landgrave de Hesse que vous avez vu à Paris? Voilà ce que c’est que d’être bon catholique.
Je finis ma lettre de peur d’ennuier mon héros qui se moquerait de moi. Je le suplie d’agréer le tendre et profond respect d’un vieux malade qui n’en peut plus.
V.