à Ferney 1er Janv: 1772
Madame,
Je souhaitte à Vôtre Majesté Impériale pour l’année 1772 non pas augmentation de gloire, car il n’y a plus moien, mais augmentation de croquignoles sur le nez de Moustapha et de ses visirs, quelques victoires nouvelles, vôtre quartier général à Andrinople et la paix.
La Lettre de Vôtre Majesté Impériale du 18/29 novembre peut me faire vivre encor pour le moins cette année Bissextile. Si vous aviez pris la mode des anciens Romains, en tout, vos lettres seraient toujours farcies de Lauriers. Je voudrais que le frère du nouveau Thoas de la Tauride pût voiager dans nos climats, et que je pusse l’entendre. Je serais bien charmé d’aprendre à nos Welches qu’il y a un bel esprit dans le païs où Iphigénie égorgeait en qualité de relligieuse tous les étrangers, en l’honneur d’une vilaine statue de bois, toute semblable à nôtre Dame miraculeuse de Czenstokova.
Je ne sais encor, Madame, si c’était la vraie peste qui s’était emparée de Moscou; mais elle est dans nôtre voisinage. Elle a envoié devant Dieu Cinq cent cinquante personnes à Cremone en un jour, à ce que dit la renommée. Pour peu qu’elle ait duré huit jours, il n’y a plus personne dans cette ville. On prétend qu’elle est venue de la foire de Sinigaglia, païs apartenant à mon saint père le pape sur la côte de la mer Adriatique. Les papes ne pouvant plus détrôner les princes leur envoient ce fléau de Dieu pour les amener à résipiscence. Mais la peste étant venue par le voisinage de nôtre Dame de Lorette, elle poura bien passer par Rome. Il serait triste que le grand inquisiteur et le sacré collège eussent le charbon.
Le fait est que Genêve ma voisine tremble de tout son cœur, attendu qu’elle a plus de commerce avec Cremone qu’avec Rome. Mais sûrement les processions des Catholiques auront purifié l’air avant que la peste vienne à Ferney qui est tout au beau milieu des hérétiques.
Une autre peste est celle des confédérés de Pologne. Je me flatte que Vôtre Majesté Impériale les guérira de leur maladie contagieuse. Nos chevaliers Welches qui ont été porter leur inquiétude et leur curiosité chez les Sarmates doivent mourir de faim s’ils ne meurent pas du charbon. Voilà une plaisante croisade qu’ils ont été faire. Cela ne servira pas à faire valoir la prudence et la galanterie de ma chère nation.
Vôtre Majesté me demande si les auteurs de l’enciclopédie avouent l’édition de Genêve. Ils la souffrent, mais ils n’en sont pas les maîtres. Elle devait se faire à Paris; nôtre inquisition ne l’a pas permis. Les Libraires de Paris se sont associés avec ceux de Genêve pour cet ouvrage qui ne sera fait de plusieurs années. Ils en sont les maîtres, et ils font travailler des auteurs à tant la feuille, comme je fais travailler mes manœuvres dans mon jardin à tant la toise. Ils ont fait écrire à M: le prince Galitzin à la Haye, et lui ont demandé sa protection pour obtenir des suppléments; ils ont raison; les articles de Russie donneront du lustre à leur édition, en dépit des canons fondus par Mr Du Tott. Ce Monsieur Du Tott aureste est un homme de beaucoup d’esprit. C’est dommage qu’il ait pris le parti de Moustapha.
Je suis fâché qu’Ali-Beg, le prince Héraclius, le prince Aléxandre, ne connaissent point les fêtes de nos remparts, nos admirables opera comiques, nôtre fax-hall perfectioné, et qu’ils ne sachent pas danser le menuet proprement.
Je me mets aux pieds de Vôtre Majesté Impériale pour l’année 1772, dont je compte voir le premier jour, car elle commence aujourd’hui; et personne n’est sûr du second. Vôtre admirateur, et votre très humble, très passionné serviteur
Le vieux malade de Ferney
La peste de Crémone vient de cesser. On dit que ce n’est rien. Peutêtre demain recommencera t’elle.