à Ferney 26e 8bre 1771
En lisant, Monsieur, la savante dissertation que vous avez eu la bonté de m’envoier sur la Vessie de mon bœuf, vous m’avez fait souvenir du bœuf du quatrième livre des georgiques, dont les entrailles pouries produisaient un essaim d’abeilles.
Les perles jaunes que j’avais trouvées dans cette Vessie me surprenaient surtout par leur énorme quantité, car je n’en avais pas envoié à Lyon la dixième partie. Celà m’a valu de vôtre part des instructions dont un agriculteur comme moi vous doit les plus sincères remerciements; voilà le miel que vous avez fait naître.
Je suis toujours effraié et affligé de voir les vessies des hommes et des animaux devenir des carrières, et causer les plus horribles tourments; et je me dis toujours, si la nature a eu assez d’esprit pour former une vessie et tous ses accompagnements pourquoi n’a t-elle pas eu assez d’esprit pour la préserver de la pierre? On est obligé de me répondre que celà n’était pas en son pouvoir; et c’est précisément ce qui m’afflige.
J’admire surtout vôtre modestie éclairée qui ne veut pas encor décider sur la cause et la formation de ces calculs. Plus vous savez et moins vous assurez. Vous ne ressemblez pas à ces phisiciens qui se mettent toujours sans façon à la place de Dieu, et qui créent un monde avec la parole. Rien n’est plus aisé que de former des montagnes avec des courants d’eau, des pierres Calcaires avec des coquilles, et des moissons avec des vitrifications. Mais le vrai secrêt de la nature est un peu plus difficile à rencontrer.
Vous avez ouvert, Monsieur, une nouvelle carrière par la voie de l’expérience; vous avez rendu de vrais services à la Société, voilà la bonne phisique. Je ne vois plus que par les yeux d’autrui, aiant prèsque entièrement perdu la vue à mon âge de soixante et dix-huit ans, et je ne puis trop vous remercier de m’avoir fait voir par vos yeux.
J’ai l’honneur d’être avec l’estime la plus respectueuse, et beaucoup de reconnaissance, Monsieur, Vôtre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire