1771-09-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Il déclare qu'il ne se chargera pas de porter la parole divine si on lui donne des soutiens qui la déshonorent, et qu'il ne parlera au nom de Dieu et du Roi que pour faire aimer l'un et l'autre.

Le monarque a dit, je vous donne mon fils, et les peuples disent donnez nous un père.

Et le portrait de l'entousiasme, et celui de Made De Maintenon, si vrais, si fins, et si sublimes; et cette admirable pensée de sentiment, Il est triste de représenter le génie persécutant la vertu, et cet ignorant Louis 14, moins blessé peut être des maximes des saints que des maximes du Telemaque; et cette foule de peintures qui attendrissent, et de traits de philosophie qui instruisent, tout celà, mon cher ami, est admirable. C'est le génie du grand siècle passé fondu dans la philosophie du siècle présent.

Je ne sais pas si vous êtes entré actuellement dans l'académie; mais je sais que vous êtes tout au beau milieu du temple de la gloire.

Vôtre discours est si beau que le cardinal de Fleuri vous aurait persécuté, mais sourdement et poliment à son ordinaire. Il ne pouvait souffrir qu'on aimât l'aimable Fenelon. J'eus l'imprudence de lui demander un jour s'il fesait lire au Roi le Telemaque; il rougit, il me répondit qu'il lui fesait lire de meilleures choses, et il ne me le pardonna jamais.

Ce fut un beau jour pour l'académie, pour la famille de cet homme unique, et surtout pour vous. Mr D'Alembert avec sa petite voix grêle, est un excellent lecteur, il fait tout sentir sans avoir l'air du moindre artifice. J'aurais bien voulu être là, j'aurais versé des larmes d'attendrissement et de joie.

Il ne manque à vôtre pièce de poésie qu'un sujet aussi intéressant. Elle est également belle dans son genre. Je suis enchanté de ces deux ouvrages et de vous. J'en fais mon compliment du fond de mon cœur à Madame votre femme. Mr Le Duc De Choiseul sera flatté de voir ses bienfaits si heureusement justifiés.

Mr de L'Etang, avocat, l'un de vos admirateurs, m'a écrit vôtre triomphe. Je ne puis lui répondre aujourd'hui; je suis trop malade; il vous voit souvent sans doute. Je vous prie de le remercier pour moi.

Embrassez bien tendrement l'illustre D'Alembert. Il est donc associé à Mr Duclos; ils doivent tout deux vous ouvrir les portes d'un sanctuaire dont-ils sont de très dignes prêtres. Les Thomas et les Marmontel n'ont ils pas pris une part bien véritable à vos honneurs! Réunissons nous tous pour écraser l'envie.

Made Denis est aussi sensible que moi à vôtre gloire.