1771-03-16, de Carlo Goldoni à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur et cher ami,

Monsieur de Beltramelli, Italien, aspire à l’honneur de vous voir, et ce n’est que par cette envie digne de lui, qu’il entreprend la route de Geneve.
Je l’ai prié de vouloir bien se charger de cette lettre pour vous, et si il a le bonheur de vous la remettre lui même il sera dédommagé de la peine. J’ai une grande nouvelle à vous donner, monsieur et cher ami. J’ai fait une comédie française en trois actes. Elle a été reçue d’une voix unanime, et par des bulletins les plus gracieux, et les plus flatteurs du monde. En voici le titre, Le Bourru bienfaisant. Ce n’est pas comme vous voyez une pièce à la mode, cependant elle n’a pas choqué les oreilles de ceux qui se sont déclaré pour la comédie larmoyante et terrible. Oui, monsieur et cher ami, je me suis servi de ce même pinceau, que vous m’avez attribué, et que Molière, et vous m’avez montré à manier. Vous trouverez même dans une de vos pièces une esquisse de mon caractère principal. Ce qui m’a donné plus de peine, surtout pour la première fois, a été le style. J’ai consulté quelques uns de mes amis, et on me flatte, que mon François peut passer. Si je pouvais consulter l’oracle de la France, je serais bien plus tranquille. Je tâcherai de vous l’envoyer avant que de l’exposer au public. Le tour de rôle m’impatiente; mais monsieur le duc de Duras en paraît content, et on me flatte, qu’elle pourrait être jouée à Fontainebleau. Avouez que ce sera un phénomène singulier. J’ai l’honneur d’être avec la vénération la plus juste, et la plus sincère,

Monsieur, et cher ami,

votre très humble et très obéissant serviteur, et ami respectueux.