1770-06-17, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Je me hâte de répondre à Votre letre du 18 May que j'ai reçue hier au soir parce que je Vous vois en peine.
Les Vicissitudes que les adhérens de Moustapha répandant que mon armée doit avoir essuyé et la perte de la Valachie sont des contes dont je n'ai senti d'autre chagrin que celui de voir que Vous apréhendiés que cela ne fût vrai. Dieu merci rien de tout cela n'a existé. Il y a huit jours que j'ai reçu encore la nouvelle qu'un petit corps turk avoit passé sur des radeaux le Danube près d'Istakzi pour reconoitre nos poste; mais il a été si bien accommodés qu'il s'en est retourné avec plus de diligence qu'il n'étoit venu et les nôtres ont tiré d'un ruisseau que les Turks avoit voulu passer à la nage plus de trois cens corps noyé sans compter les tué et les blessés.

Je vous ai mandé la poste passée les nouvelles que j'ai reçue de la Morée qui pour premier début paroissent être assés satisfaisantes. J'espère que par votre intercession la sainte Vierge n'abandonera pas les fidèles. Ses pauvres Diables de partisans de Moustapha n'ont d'autres ressources pour faire aller leurs brouete que de composer aux désavantages de la Russie des combats sans fins, mais ils ne sauroit par là remédier aux délabrement universels de la monarchie Turque. Ce Fantôme s'écroule, ils l'ont eux même secoué mal àpropos peut être. Voilà ce que s'est que de ne pas conoître à qui l'on a affaire. Le Roy Ali d'Egipte a su profiter de l'occasion, on dit que les Chrestien et les Musulmans en sont également content, parce que le Roy Ali est tolérant et juste. Les Venitiens à force de Politiquer lors qu'il s'agit de profiter ressemblent à cet animal de la fable qui mouroit de faim entre deux bottes de foin. Dormés tranquilement Monsieur, les affaires de Votre favorite (après ce que Vous me dites et l'amitié que Vous ne discontinués de me témoigner je prends hardiment ce titre) vont un train très honête. Elle même en est contente et ne craint les Turks ni par terre ni par mer. Faute de matelots on a mis sur les vaisseaux les jardiniers du sérail ou bostangis.

Frère Ganganelli a trop d'esprit pour être fâché au fond de son coeur de mes progrès. Nous n'avons rien à démêler ensemble, je ne lui ai prise ni Avignon ni Benevent. Ma cause au bout du compte est celle de la Chrestieneté. Il n'appartenait qu'à frère Rezzonico de s'aveugler dans sa dévotion, Clément XIV me paroit plus êclairé. Les Capucins Monsieur ont je pense les même droit que les Cordeliers. Vous pouvés devenir pape et même cela doit ce faire pour le bien de l'église et voici pourquoi. Les deux chefs de l'Eglise grecque et de la Romaine non seulement seront en correspondance directe mais encore on les verra liés par l'amitié, chose qui n'a existé jusqu'ici. J'en prévois déjà d'avance un grand bien pour la Chrétieneté. Je Vous déclare que je serai ferme mais sans âpreté.

Adieu monsieur portés Vous bien et soyés assuré que l'on ne sauroit ajouter à la sensibilité que j'ai pour toutte les marque d'amitié que Vous me doné. Rien aussi n'égale l'estime que j'en fais.

Caterine