1770-04-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Au sujet près, mon cher ami, jamais les gens de Lettres dans aucun païs n'ont imaginé rien de plus nôble.
Les douze apôtres n'ont pas eu ce courage. Les douze personnes à qui cette étrange idée a passé par la tête sont dignes chacune de ce qu'elles veulent me donner.

Cet honneur est bien grand, tous l'ont su mériter.
Mais douze monuments, et douze statuaires!
Ce serait un peu trop d'affaires.
Ils ont dit, choisissons pour nous représenter
Celui qui d'entre nous donna les étrivières
Le plus fort et le plus longtemps,
Aux Grisels, aux Frérons, aux cuistres, aux pédants;
C'est nôtre prête nom; c'est lui qui dans la troupe
Combattit en enfant perdu.
C'est nôtre vieux soldat au service assidu.
Faisons son éffigie, avant qu'à nôtre insçu
La friponne Atropos lui coupe
Le fil mal renoué dont on le tient pourvu.
On croira, quand on l'aura vu,
Que de nous tous on voit le groupe.
D'ailleurs si nous l'aimons, certe il nous le rend bien.
Vite, qu'on nous l'ébauche, allons, Pigal, dépèche,
Figure à ton plaisir ce très mauvais chrétien,
Mais en secret nous craignons bien
Qu'un bon chrétien ne t'en empêche.

Vous m'allez dire que ces petits versiculets familiers ne valent rien. Je le sais tout comme vous, mais j'ai la pointrine attaquée, je n'en puis plus; et je vous conseille de mettre l'inscription, à Voltaire mourant, comme je le mande à Mr D'Alembert.

Ce qui me rend un peu de vie, mais pas pour longtems, c'est que Mademoiselle Clairon va reparaître. Hélas! je ne la verrai pas. Je suis privé des joies de ce monde.

Bon soir mon très cher confrère.

frère François