1765-09-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher et digne philosophe, vous avez donc enfin votre pension.
Vous avez, sans doute, bien remercié de la manière galante dont on vous l'a donnée. On ne peut rien ajouter à la promptitude et à la bonne grâce qu'on a mises dans cette affaire.

M. le marquis d'Argence d'Angoulème m'a envoyé une lettre que vous lui aviez écrite; c'est un homme plein de zèle pour la bonne cause, et qui a pris avec zèle le parti des Calas contre Fréron. J'ai bien de la peine à décider quel est le plus misérable d'Aliboron ou de Jean Jacques; je crois seulement Jean Jacques plus fou et non moins coquin. Promettre d'écrire contre Helvétius pour être reçu à la communion, est une bassesse incroyable.

Je crois que vous aurez mademoiselle Clairon au mois d'octobre, mais je ne crois pas qu'elle reparaisse sur le théâtre des Velches. J'aime tous les jours de plus en plus mon philosophe Damilaville; Tronchin lui a donné la fièvre pour le guérir. Je souhaite qu'il soit longtemps entre ses mains, et je voudrais bien vous tenir avec lui. Vous trouveriez Genève bien changée; la raison y a fait des progrès dont on ne se doutait pas. Calvin n'y sera bientôt regardé que comme un cuistre intolérant.

Conservez bien votre santé; jouissez de l'étonnante révolution qui se fait partout dans les esprits, et vivez pour éclairer les hommes.