1765-10-07, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous avez donc cru, mon cher maitre, ainsi que Frère Damilaville, que j'avois enfin ma pension; détrompez vous; Il est vrai que l'académie a fait en ma faveur une seconde démarche encore plus authentique et plus marquée, puisqu'elle ne l'a faite que d'après une lettre du ministre qui lui demandoit une seconde fois son avis sur ce sujet, imaginant apparemment qu'elle seroit assez absurde pour en changer.
Elle a répondu comme Cinna,

Le même que j'avois et que j'auroi toujours,

et depuis le 14 août qu'elle a fait cette réponse, le ministre n'a encore rien dit. Il est vrai qu'il a eu le poing coupé et c'est une raison; mais il s'est passé trois semaines et davantage entre la lettre de l'académie et la coupure de son point. Ce poing d'ailleurs n'est que le poing gauche, & on dit qu'il recommence à signer du droit. Nous verrons s'il en fera usage à ma satisfaction. Quoi qu'il en soit, je viens d'envoyer au journal Encyclopédique une petite lettre fort simple à ce sujet, où je dis simplement les faits, sans me plaindre de personne.

En vérité si vous ne m'assuriez ce que vous m'apprenez de Rousseau, j'aurois peine à le croire; quoi, il a promis d'écrire contre Helvetius pour être admis à sa communion Huguenote! En vérité cela est incroyable. C'est bien le cas de dire comme Pourceaugnac,

Voilà bien des raisonnemens pour manger un morceau.

J'imagine que vous avés encore frère d'Amilaville, et je vous en fais mon compliment à l'un et à l'autre. Dites lui je vous prie bien des choses de ma part. Ma santé seroit passable si je dormois mieux, il faut espérer que cela reviendra. Je suis actuellement dans les embarras, et les dépenses d'un emménagement qui me donne beaucoup d'ennui et d'impatience. C'est ce qui fait que je ne vous dis que deux mots. Adelaïde a eu beaucoup de succès, et continue à en avoir. Vous avez très bien fait de redonner la pièce sous son ancien nom. Adieu mon cher maitre, je vous embrasse mille fois.