26e Mars 1770
Monsieur,
Il y a quelques natifs de Geneve réfugiés dans mon village; ils sont dans la nécessité d'aller quelquefois à Genêve pour retirer leurs éffets, solder leurs compte, et ramener leurs femmes et leurs enfans que les bourgeois insultent tous les jours.
On menace ces émigrans de les jetter dans des cachots s'ils mettent les pieds dans une ville qui n'est plus leur patrie. Ils sont français; ils ont signé qu'ils étaient français. Des bourgeois d'une petite ville auront-ils l'insolence d'insulter le roi de France dans la personne de ses sujets?
Je vous demande, Monsieur, si vous ne pouvez pas avoir la bonté de m'envoier cinq ou six de vos déclarations signées de vous avec la date en blanc; ils mettraient leur nom au bas; mais ce passeport ne serait pas suffisant encor.
Ne pouriez vous pas écrire au premier sindic de Genêve, et l'avertir que le Roi regarde comme ses sujets tous ceux qui passeront par Genêve munis de ces déclarations, que ceux qui les molesteront en quelque manière que ce puisse être, seront sensés avoir manqué de respect au Roi, que vous ne doutez pas qu'on ne les laisse entrer et sortir librement pour reprendre leurs femmes, leurs enfans et leurs éffets?
Que personne sans doute dans Genêve n'osera s'exposer de mécontenter un souverain qui a été jusqu'icy le protecteur de la ville?
Il me semble qu'une telle Lettre serait bien à sa place, et que c'est le seul moien de mettre un frein à la brutale audace de ceux qui dans un misérable trou entre la France et la Savoye parlent tous les jours avec la dernière indignité de vous, du Résident de France, et même du Roi aussi bien que de M. le Duc de Choiseul. Je suis très sûr que ce ministre ne vous désavouera pas.
J'aurais bien d'autres choses à vous dire, mais je suis toujours malade dans mon lit. Ma lettre est pour vous seul.
Agréez, Monsieur, mon sincère respect, et mon tendre attachement.