1770-03-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
C'en est trop d'avoir tout ce feu
Qui si vivement vous inspire,
Qui luit, qui plaît et qu'on admire
Quand les autres en ont trop peu.
Sur les humains trop d'avantages
Dans vos exploits, dans vos écrits
Etonnent les grands et les sages
Qui devant vous sont trop petits.
J'eus trop d'espoir dans ma jeunesse
Et dans l'âge mûr trop d'ennuis,
Mais dans la vieillesse où je suis
Hélas j'ay trop peu de sagesse.
De France on dit que dans ce temps
Quelques muses se sont bannies.
Nous n'avons pas trop de savants,
Nous avons trop peu de génies.
Vivre et mourir auprès de vous
C'eût été pour moi trop prétendre,
Et si mon sort est trop peu doux
C'est à lui que je veux m'en prendre.

Sire, il est clair que vous avez trop de tout, et moy trop peu. Votre épître à madame de Morian sur ce sujet est charmante. Il y a plus de trente ans que vous m'étonnez tous les jours. Je conçois bien comment un jeune parisien oisif peut faire de jolis vers français quand il n'a rien à faire le matin que sa toilette, mais qu'un Roy du nord qui gouverne tout seul une vingtaine de provinces fasse sans peine des vers à la Chaulieu, des vers qui sont à la fois d'un poète et d'un homme de bonne compagnie c'est ce qui me passe. Quoy vous nous battez en Turinge et vous faites des vers mieux que nous! C'est là qu'il y a du trop, et vous me causez trop de regrets de ne pas mourir auprès de votre majesté héroïque et poétique.