17e 9bre 1774, à Ferney
Sire,
Quelques petits avantcoureurs que la nature envoye quelques fois aux gens de quatrevingt et un ans ne m'ont pas permis de vous remercier plustôt d'une lettre charmante remplie des plus jolis vers que vous ayez jamais faits.
Ni roi ni homme ne vous ressemble. Je ne suis pas assurément en état de vous rendre vos vers pour vers.
Je puis du moins répondre à votre majesté que mon cœur est pénétré des bontés que vous daignez témoigner pour ce pauvre Morival. Je voudrais qu'il pût au milieu de nos neiges lever le plan du pays que vous lui avez permis d'habiter. Votre majesté verrait combien il s'est formé en très peu de temps dans un art nécessaire aux bons officiers et très rare dont il n'avait pas la plus légère connaissance. Vous seriez touché de sa reconnaissance et du zèle avec les quels il consacre ses jours à votre service. Son extrême sagesse m'étonne toujours. On a dessein de faire revoir son procès qu'on ne lui a fait que par contumace. Ce parti me parait plus convenable et plus noble que celui de demander grâce, car enfin grâce suppose crime, et assurément il n'est point criminel. On n'a rien prouvé contre lui. Cela demandera un peu de temps, et il se peut très bien que je meure avant que l'affaire soit finie, mais j'ay légué cet infortuné à mr Dalembert qui réussira mieux que je n'aurais pu faire.
J'ose croire qu'il ne serait peutêtre pas de votre dignité qu'un de vos officiers restât avec le désagrément d'une condannation qui a toujours dans le public quelque chose d'humiliant quelqu'injuste qu'elle puisse être. En vérité c'est une de vos belles actions de protéger un jeune homme si estimable et si infortuné. Vous secourerés à la fois l'innocence et la raison, vous apprendrés aux Welches à détester le fanatisme comme vous leur avés apris le métier de la guerre, supposé qu'ils l'aient apris. Vous avez touttes sortes de gloire. C'en est une bien grande de protéger l'innocence à trois cent lieues de chez soi.
Daignez agréer sire le respect, la reconnaissance, l'attachement d'un vieillard qui mourra avec ces sentiments.