à Ferney 6e xbre 1769
Monsieur,
La lettre dont vous m'honorez me ranime.
Je suis bien malade et prèsque mourant; mais portez vous bien et vivez. Soiez très sûr que malgré vôtre modestie le monde a besoin de vous. Mr L'abbé de Ravel m'a dit que vôtre santé était très faible; je vous conjure d'en avoir grand soin et surtout de vôtre poitrine.
Il est très vrai que j'ai souvent sur ma cheminée, et sous mes yeux, le peu d'écrits publics qu'on a de vous; mais je vous ai dans mon cœur. Je m'intéresse à vôtre vie encor plus, s'il est possible, qu'à vôtre gloire. Qu'il y ait trois ou quatre hommes comme vous en France, et la France en vaudra mieux.
Vous ai-je jamais dit combien de larmes interrompirent la lecture que je fesais à douze ou quinze personnes, de ce discours dans lequel vous vengiez les droits de l'humanité contre un lâche qui s'était fait catholique apostolique romain, pour trahir sa femme et la réduire à l'aumône? On m'a dit que tout l'auditoire avait éclaté en sanglots comme nous. Mr D'Aguessau dont on a imprimé dix volumes n'a jamais fait répandre une larme. Je ne veux pas vous en dire d'avantage, mais je ne suis point ébloui des noms.
Je me flatte que vous n'avez pas oublié vôtre beau projet sur la jurisprudence. Peut être l'article des mœurs dont vous voulez bien me parler entre t-il dans cet ouvrage.
Permettez moi de vous confier qu'une très petite société de gens, qui ont dumoins le mérite de penser comme vous travaille à un suplément de l'Enciclopédie dont on va bientôt imprimer le premier volume. Si vous étiez assez bon pour envoier ce que vous avez daigné écrire sur les Spectacles qui peuvent contribuer aux bonnes mœurs, ce serait un morceau bien précieux dont nous ferions usage à l'article Dramatique, et celà vaudrait mieux que la conversation de l'intendant des menus avec l'abbé Grizel.
Il est bien plaisant, Monsieur, que Jean Jaques ait écrit contre les spectacles en fesant une mauvaise Comédie, et contre les romans en fesant un mauvais roman. Mais qu'attendre d'un polisson qui dit dans je ne sais quel Emile que Mr Le Dauphin pourait faire un bon mariage en épousant la fille du boureau. Cet inconcevable fou descend en droite ligne du chien de Diogène. Vous lui faittes bien de l'honneur de prononcer son nom.
Si vous poussiez la générosité jusqu'à nous envoier ce qui regarde les spectacles, vous pouvez être sûr du plus profond secret. Vous n'auriez qu'à faire adresser le paquet à Mr Vasselier, premier commis des bureaux des postes à Lyon. Je ne mérite pas cette bonté vôtre part; mais accordez la au public; et agréez l'extrême vénération et l'attachement très respectueux du pauvre vieillard des montagnes.
V.