Quand Je serois mort votre aimable Lettre me résussiteroit, Monsieur, vous m'Ecrivés que vous m'aimés, avec cette plume dont le Canon Eclatant a plus résussités de morts que ne fera jamais La Trompette de l'ange.
Continués moy ces prétieuses Bontés, elles sont ma plus Douce consolation pour le présent et me donneront peut-Etre quelque gloire Dans L'avenir: heureux les noms imprimés dans vos ouvrages! la poussière même s'attache à vôtre Encre et s'y Durcit comme l'airain. Ma rapsodie sur les mœurs n'Est qu'un ouvrage d'occasion; c'est en Enfan trouvé présenté tout nûd à la rentrée de nôtre parlement; et je l'habille maintenant pour le rendre supportable aux yeux Du public; Vous sçavés bien, Monsieur, que Dans un Discours D'appareil, et serré En une heure De tems, il Est presque Impossible de rien Dire d'utile; aussi ce que J'ay dit au parlement sur les mœurs n'Est qu'une réthorique assez vaine: C'est une lamantation sur ce que Nous sommes, une Exhortation à Devenir meilheurs, Enfin L'Ennuy et L'Inutilité d'un sermon: il Est vray qu'un sermon moral du plus chétif avocat général, prêché à des magistrats, et à des Esprits sans suspertition est Cent fois meilleur que le plus Beau sermon dogmatique de Bourdaloûe, pour prouver qu'il faut Croire, à des gens qui Croyent déjà trop: Cependant un Tel ouvrage ne seroit pas Encore digne du public qui Lit, il luy faut de la substance, et pour en Donner à un discours sur les mœurs, J'ay crû qu'il falloit après avoir déploré leur perte montrer surtout Comment on pouvoit la réparer: pour cela j'ay considéré, primo, L'Influence de nos Loix tant Bonnes que mauvaises sur nos mœurs. 2. L'Influence d'une Education publique et Bien Dirigée. 3. L'Influence de l'Exemple du prince et des grands sur les mœurs dans une monarchie. 4. Celle des spectacles: et C'est La Dessus monsieur que je soutiens que les spectacles peuvent être utile aux mœurs: je ne nie pourtant pas les vices de nôtre ancien théâtre; j'indique autant que je le puis les moyens de réforme: le plus grand, à mon sens, seroit que le gouvernement appliquât sa main au Théâtre et qu'Enfin il Daignât le regarder comme un de ses ressorts. Je demande des honneurs et de la gloire pour les auteurs, sur tout je voudrois des spectacles pour le peuple, des amusements utils et nobles pour assaisoner son pain, et Diriger ses mœurs: je forme aussitôt les plus magniffiques Espérances; et je crois voir nôtre gouvernement tout Disposé à cette heureuse révolution. Pour fonder cette Conjecture j'Examine Brièvement L'histoire du gouvernement depuis Richelieu, et je la Compare à celle de nôtre Théâtre depuis Corneille. Je trouve que Jusques à nos Jours Le gouvernement qui influe tant sur les Esprits, ne leur a pas Laissé Cette tranquilité si nécessaire pour goutter avec application les plaisirs du Théâtre, et perfectioner L'art. Enfin après le terrible Richelieu, après la ridicule fronde, après le siècle Brillant d'abord et Dissipé, ensuite grondeurs et chagrins de Louis XIIII, après La folle régeance, Dans un tems calme et serain, au milieu du silence que La philosophie commence d'Imposer aux orages, je vois arriver un homme, un poignard tragique à La main, mais un poignard tout Neuf, frais Eguisé sur La meule des mœurs, plus terrible et plus utile que celuy de Corneille et de Racine: cet homme Là, monsieur, hélas! c'étoit vous même &a, &a, &a.
Voilà Le passage où il Est le plus question de mon héros: ailleurs j'En parle à chaque page; mais Là j'En parle toute La page: aussi puisque vous l'Exigés je vous Envoÿe ce petit Lambeau déchiré d'une mauvaise Pièce, mais qui Du moins a pour Beauté vôtre Eloge; car de Vous Envoyer le reste, Dieu m'En Garde ny par L'ordre, ny par Le stile il ne convient à un ouvrage précis et Didactique tel qu'un suplément à L'Enciclopédie. Vous ne le verrez que trop tôt ailleurs: Ce seroit déjà chose faitte si ma tête n'Etoit aux ordres de mon Estomah; quand il m'accorde deux matins en huit Jours, je crois luy en Devoir de reste, et souz prétexte qu'il me fait du chile, il ne veut pas que je fasse Des pensées. Pour ma poitrine que vous m'Exhorter à soigner; c'est celle de Stentor ou plustôt La vraye poitrine D'un avocat général; je Crierois autant que Monmaur mais je ne Digérerois pas comme luy.
J'ay Déjà interrogé mille fois, L'abbé de Ravel, sur toutes les circomstances et dépendances de Votre santé, et quand il veut me parler de vôtre Génie, je luy Dit tout net que je m'En moque et que je veux sçavoir uniquement Comment vous vous portés, comment vous vivés. Je trouve qu'on ne sçait point vous voir, et j'aimerois mieux quelqu'un qui iroit goutter vôtre potage pour sçavoir s'il Est bien restaurant qu'un Extatique d'admiration. Mon Dieu, Monsieur, je Tremble quand je vois tant D'ouvrages sortis De Vôtre Tête; le Ver à soie file son tombeau, filés moins et Vivés. Je le Disois ainsi Du plus proffond de mon cœur à Monsieur Dupuis que J'ay Eu L'honneur De Voir un quart D'heure avant mon Départ De Grenoble pour Romans. Je ne pûs luy parler De vous qu'une heure et Demie; ce n'Est pas contentement: il me Dit des Choses incroyables. La tragédie Des Guebres en huit jours! et tous les matins vous Dictés un Livre pour vous Désennuyer: tant mieux pour Nous, mais tant pis pour vous, Monsieur, si cela Vous amuse; je me représente quelque fois, vôtre tête avec un grand Trou Dans le milieu Du Crâne comme un Volcan, jettant des matières enfflammées: gare le patrimoine De St Pierre, et sauve Fréron et Pompignan. Mais Enfin St Pierre n'a plus que sa Bicoque de Rome: vous avez efeuillé Freron, pulvérisé la statue De Monsieur Lefranc. Le monde qui pense Est tout plein de Vous; ce qui n'arrive Jamais, Votre Gloire est votre Contemporaine. Que Vous reste t'il à faire qu'à bien vous conserver pour ceux qui chérissent vôtre personne? On parle toujours De Dormir sur Des Loriers; et vous, Monsieur, qui en avez tant, on Dit que vous ne dormés point: mon tendre Intérest pour vôtre sancté et pour vôtre vie, me rend tant soit peu Bavard. Je finis en vous assurant des sentiments D'admiration, mais surtout De tendresse avec Lesqu'elles J'ay L'honneur D'Etre
Votre très humble et obéissant serviteur
Servan
Dans Le déménagement de mon voyage Je n'ay point vôtre Lettre sous mes yeux, et j'ay oublié l'adresse que vous m'avés donné pour mon Paquet. Excusés moy si je l'Envoye directement à Vous Même.
Romans 19e xbre 1769