26 juillet [1762]
Je suis actuellement si occupé de l'affaire épouvantable des Calas, que je suis bien loin de penser à Mathurin et à Colette.
Ce sera pour une autre fois.
Les comédiens de st Sulpice et le chef de troupe qui a défendu la pièce aux cordeliers, ont ils prétendu envelopper le sr Crébillon dans l'anathème? En ce cas voilà tous les auteurs dramatiques obligés en conscience de se déclarer contre leurs ennemis. Mais l'horreur de Toulouze m'occupe plus que l'impertinence sulpicienne. Je vous demande en grâce de faire imprirme les pièces originales. Mr Diderot peut aisément engager quelque libraire à faire cette bonne œuvre. Il nous paraît que ces pièces nous ont déjà attiré quelques partisans. Que votre bon cœur, mon cher frère, rende ce service à la famille la plus infortunée. Voilà la véritable philosophie, et non pas celle de Jean Jaques. Ce pauvre chien de Diogène n'a pu trouver de loge dans le pays de Berne. Il s'est retiré dans celui de Neufchatel: c'était bien la peine d'aboyer contre les philosophes et contre les spectacles.
Palissot m'a envoyé une étrange pièce avec sa préface et ses notes plus étranges. Cette pièce est imprimée aussi mal qu'elle le mérite. J'espère que l'éloge de Crébillon le sera mieux.
J'ai reçu le troisième tome que vous avez eu la bonté de m'envoyer, des remarques du petit Racine sur le grand Racine, et je me suis aperçu que c'est un ouvrage différent de celui que j'ai. Je vois qu'il y a trois tomes de ce dernier ouvrage, et que le troisième est intitulé Traité de la poësie dramatique ancienne et moderne. Il me manque les deux premiers. Voulez vous avoir la bonté de me les faire tenir? Ils pourront m'être utiles pour les commentaires de Corneille.
Je vous prierai, mon cher frère, de m'adresser les livres nouveaux que vous jugerez en valoir la peine, et de permettre que je vous en rembourse le prix, sans quoi je serais réduit à vous rien demander.
Frère Thiriot vous embrasse. Je finis toutes mes lettres par dire: écrasez l'infâme, comme Scipion Nasica disait toujours: tel est mon avis, et qu'on ruine Cartage.