1769-10-07, de Marie Louise Denis à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher ami mr de St Lamber sort d'ici dans l'instant.
Notre affaire va àmerveille. Mme du Bary a parlé de vous plusieurs fois au roy sans demender précisément votre retour. Il lui a toujours dit des choses agréables de vous. Mr de la Sourdiere n'a pas voulu qu'elle dit les gros mots qu'il ne soit arrivé à Fontainebleau. Je crois que c'est qu'il veut en avoir la gloire toute entière. Je crois aussi qu'il veut y être affin que si le roy fesait quelle obgection il pût les lever. Enfin dans la dernière Conversation que j'ai eu avec le maréchal il m'a dit, reguardez la chose comme faite, je la prands sur moi, Conduisez vous en Conséquence, vous aurez votre réponse quel que jour après mon arrivée à Fontainebleau mais guardez vous bien de louer votre maison et songez plustôt à lui préparer un appartement. Mme du Bary et le maréchal se chargent de Mr de St Florantin. Ainsi Mon cher ami je comte vous donner des nouvelles sûres avant huit jours et je crois ne me pas flater en espérant vous embrasser les derniers jours d'octobre ou les premiers jours de 9bre. Mme la Maréchal de Mirepois m'a fait dire des choses fort honestes pour vous par Mr de St Lember qui est fort de ses amis. Il vous est bien attaché et prand à vous le plus vif intéres. Il m'a dit de vous dire que Mme de Mirepois était un peu fâché de ce que vous n'aviez point parlé dans votre histoire du maréchal de Mirepois au Combat de Saeste en Boeme et de l'attaque des retranchemens de Montauban. Mr de St Lamber lui a dit que vous répareriez tout cela dans une seconde édition. Je vous prie Mon cher ami de faire tout doucement vos préparatifs pour partir. Si malheureusement la réponce n'était pas telle que nous avons lieu de l'espérer je partirais sur le champ pour vous aller joindre et je laisserais tout ici entre les mains de mon beau frère.

Mon cher ami l'abbé Binet ne tient plus à rien. Je ne crois pas qu'il aille jusqu'à la fin de l'année. Le parti contraire grossit à vue d'oeuil et parle fort haut. C'est sa soeur qui l'a perdu. Il a fait un voiage à Maisse pour avoir l'air de ne rien craindre, mais c'est une bravade inutille.

Je suis fort aise que vous vous soiez départi de Toulouse. J'ai beaucoup questioné le Kin qui en revient. Il est bien loin de vous Conseiller cette ville et croiez qu'on est point revenu sur les Calas comme on vous le fait acroire. Après m'ettre bien informé tous vos amis s'accordent à dire que de toutes les villes de Provence c'est Marseille qui vous Conviendrait le mieux pour le clima et pour la liberté. Il n'y a personne dont on dépande. Il y a un vieil évesque qui est fort indifférant sur tout ce qui se passe. C'est une espesse de république que cette ville et Mr de Fraigne qui y a beaucoup été prétand que les maisons sur le port sont toutes au midi et exelantes dans l'hyver. On dit que les vants de mer sont chaux et doux. En un mot s'est le meilleur clima de la Provance. Mais j'espère que pour cette année nous passerons notre hyver à Paris. Je profite de Mr Jaquet qui part demain pour vous remettre cette lettre. Mon cher ami quand je vous aurai envoié votre réponce mettez vous en chemin le plus promtement possible affin de ne vous pas enrumer. Je ne vous dis point le plaisir que j'aurai de vous revoir. Il sera inexprimable. Guardons toujours l'incognito et tâchez d'arriver sans que personne puisse s'en douter. Après avoir bien tout pesé je vois qu'il n'y a que du plaisir à attendre de ce voiage. Vous y serez reçu de tous les gens de lettre et de tous ceux qui pense comme vous le méritez. Si vous vous trouvez trop gêné vous en serez quite pour retourner chez vous et vous vous serez distrait six mois. Adieu Mon cher Coeur. Mr Jaquet me presse, il ne me reste que le temps de vous dire que je vous aime de tout mon coeur.