1769-10-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ma chère amie, j'ai parlé du dessein de Faÿ à Mr De Caire qui est venu chez moi.
On lui réservera tout le terrain qu'il voudra. Beaucoup d'étrangers en demandent, et on n'attend que l'arrêt du Conseil qui déclarera Versoi une ville franche et libre. Cet établissement a déjà renchéri la main d'œuvre à Ferney et tout coûte le double de ce qu'il coûtait il y a trois ou quatre ans.

Je suis en train de vous parler d'affaires; j'ai apris qu'il ne fallait pas envoier le contract à Rechicour, mais qu'il est de la plus grande importance de le signifier aux héritiers mêmes. Il n'y a qu'à prier le petit procureur Pinon Du Coudrai de passer chez vous. J'écrirai sur celà un mot de politesse aux Intendans des intéressés. Il est nécessaire que vous aiez sur celà une conversation avec L'abbé Blet, et que vous lui fassiez sentir que c'est vôtre bien que vous redemandez depuis douze ans.

L'hiver a déjà commencé dans le païs de Gex, nous avons de la neige. Je crois que ni la saison, ni ma santé, ni mon goût ne me permettront de faire le voiage. J'ai reçu les propositions de Pankouke; j'ai refusé ses offres avec colère, mais j'ai accepté le travail avec plaisir. Ce sera pour moi un grand amusement pour l'hiver, il ne m'en coûtera que la peine de dicter. Ce serait pour moi un fardeau insuportable de feuilleter et d'écrire. Cette petite occupation me consolera.

Je pense qu'il faut laisser made Le Long consommer ou manquer la petite affaire qu'elle avait entamée avec mr De La Sourdiere Pourvu qu'il ne croie pas que cette négociation vaut de l'argent comptant.

On dit que les Scythes, Mérope, et Tancrede seront joués à Fontainebleau. Celà me fait un peu de plaisir, parce qu'après tout il est doux de réussir dans un art qu'on a cultivé, et c'est la seule récompense que j'en espère.

Bon soir ma très chère nièce; je n'ai pas un moment à moi. Je suis accablé de Lettres, et Lutiné des détails du Chatelard, qui sera la plus agréable des métairies. Je vous embrasse tendrement.

V.