5e Juillet 1769, à Ferney
Vous savez, Monsieur, que vers la fin de l'année passée, il parut une brochure intitulée, Examen de la nouvelle histoire de Henri 4, par M r le marquis de B***.
On est inondé de brochures en tout genre; mais celle cy se distinguait par un style brillant, quoiqu'un peu inégal. Le titre porte qu'elle avait été lue dans une séance d'académie, et cela était vrai. De plus, tout ce qui regarde l'histoire de France intéresse tous ceux qui veulent s'instruire et ce qui concerne Henri 4 est très précieux. On traitrait dans cet écrit plusieurs points d'histoire qui avaient été jusqu'icy assez inconnus.
On y assurait que le pape Gregoire 13 n'avait pas reconnu la légitimité du mariage de Jeanne d'Albret et d'Antoine de Bourbon, père de Henri 4.
2º Que cette même Jeanne d'Albret avait pris la qualité de majesté fidélissime.
3º On affirmait que Marguerite de Valois eut en dot les sénéchaussées du Quercy et de L'Agenois avec le pouvoir de nommer aux Evêchés et aux abbaies de ces provinces.
Il y avait beaucoup d'anecdotes très curieuses, mais dont la pluspart se sont trouvées fausses par l'éxamen que Mr L'abbé Boudot en a bien voulu faire.
Ce qui me choqua le plus dans cette critique fut l'extrême injustice avec laquelle on y censure l'ouvrage très utile et très estimable de mr le Président Hénaut.
Ce fut pour moi, vous le savez, Monsieur, une affliction bien sensible quand vous m'aprites que plusieurs personnes me faisaient une injustice encor plus absurde en m'attribuant cette même critique dans laquelle il y a des traits contre moi même. Je demandai la permission à Mr le Président Hénaut de réfuter cet ouvrage, et je priai mr L'abbé Boudot par vôtre entremise, de consulter les manuscrits de la bibliothèque du Roi sur plusieurs articles. Il eut la complaisance de me faire parvenir quelques instructions mais le nombre des choses qu'il fallait éclaircir était si considérable, et cette critique fut bientôt tellement confondue dans la foule des ouvrages de peu d'étendue qui n'ont qu'un tems, enfin, je tombai si malade que cette affaire s'évanouit dans les délais.
Elle semble aujourd'hui se renouveller par une nouvelle histoire du parlement qu'on m'attribue. Je n'en connais d'autre que celle de mr Le Page, avocat à Paris, divisée en plusieurs Lettres et imprimée sous le nom d'Amsterdam en 1754.
Pour composer un livre utile sur cet objet il faut avoir fouillé pendant une année entière aumoins, dans les régistres, et quand on aura percé dans cet abîme il sera bien difficile de se faire lire. Un tel ouvrage est plutôt un long procez verbal qu'une histoire.
Si quelque libraire veut faire passer cet ouvrage sous mon nom, je lui déclare qu'il n'y gagnera rien; et que loin que mon nom lui fasse vendre un éxemplaire de plus il ne servirait qu'à décréditer son livre. Il y aurait de la folie à prétendre que j'ai pu m'instruire des formes judiciaires de France, et rassembler un fatras énorme de dates, moi qui suis absent de France depuis plus de vingt années, et qui ai prèsque toujours vécu avant ce temps loin de Paris à la campagne, uniquement occupé d'autres objets.
Aureste Monsieur, si on voulait recueillir tous les ouvrages qu'on m'impute, et les mettre avec ceux que l'on a écrits contre moi, celà formerait cinq à six cent volumes, dont aucun ne pourait être lu, Dieu merci.
Il est très inutile encor de se plaindre de cet abus, car les plaintes tombent dans le gouffre éternel de l'oubli avec les livres dont on se plaint. La multitude des ouvrages inutiles est si immense que la vie d'un homme ne pourait suffire à en faire le catalogue.
Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien permettre que ma lettre soit publique pour le moment présent, car le moment d'après on ne s'en souviendra plus; et il en est ainsi de prèsque toutes les choses de ce monde.
J'ai l'honneur d'être etca
V.