1769-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

J'ai retrouvé, mon cher ami, une Lettre de feu Guimond de La Touche, qui était je crois pour vous, car il suposait qu'il n'y avait qu'un grand acteur qui pût faire réussir le rôle d'Iradan.
Il priait cet acteur, de changer deux ou trois vers à la sixième et dernière scène du 4. acte. Voicy comme ils sont dans cette Lettre, et comme ils doivent être, à mon avis.

LE VIEUX ARZEMON

Ce nom coûta souvent des larmes bien cruelles;
Et vous allez peut être en verser de nouvelles;
Mais vous les chérirez.

IRADAN

Quels discours étonnants!

CESENE

Adou cis tu nos maux par de nouveaux tourments?

LE VIEUX ARZEMON

Que n'ai-je apris plutôt dans nos sombres retraittes
Le lieu, le nouveau poste et le rang où vous êtes.
La guerre loin de moi porta toujours vos pas.
Enfin je vous retrouve.
etca

Guimond de La Touche priait donc nôtre grand acteur de faire porter ce petit changement sur la pièce. Je joins mes prières aux siennes en qualité de son éxécuteur testamentaire.

Il me semble que cette pièce ne peut souffrir aucune difficulté de la part de la police. En attendant vous allez sans doute, mon cher ami, donner vôtre cœur à manger à Mlle Vestris, et rendre aux Français le chevalier Bayard, dont on dit qu'ils ont grand besoin. Si après pâques vous voulez faire un voiage en Scythie je pourai venir vous en remercier à Paris. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.