1768-11-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Mon cher conseiller, je ne vous ai point remercié, je n'ai écrit, ni à madame vôtre mère, ni à Mr De Florian, parce que j'ai ouï dire que made De Courcelles est une divinité qui aime fort les prémices.
Je m'imagine que cette Lettre vous trouvera chez vous à Paris.

Si vous avez eu à Hornoy un tems semblable au nôtre je vous plains beaucoup; mais si vous avez joué la comédie je ne vous plains pas. Les Romains ne demandaient que panem et circemses, vous aurez Circemses, mais pour panem je n'en suis pas si sûr. Je souhaitte que la Picardie soit plus heureuse que mon maudit païs. Prèsque personne n'a eu le tems de semer dans mon canton. Je me suis roidi contre les éléments; j'ai perdu mes semences et mes peines. Les pluies ont pouri mon bléd, car quoi qu'en dise st Mathieu il ne faut pas qu'il pourisse pour germer. Le peu qui a levé a été dévoré par les insectes que l'humidité a fait éclore. Les hommes et les autres animaux n'ont qu'une vie précaire. Nous ne vivons que de probabilités; et après tout il est probable que le genre humain ne périra pas en l'année 1769.

Je vous réitère mes tendres remerciements. Je vous embrasse de toutes les forces qui me restent, aussi bien que Monsieur et madame Deflorian.

J'écris à Made Denis, et je partage avec elle sa reconnaissance pour tous vos bons offices.

V.