1768-11-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Labat m'aporte, ma chère nièce, un gros paquet de coquilles, plus vielles assurément que le Déluge; et il me rend vôtre Lettre, et celle du gros conseiller, qui ne sont pas des coquilles.
Les 120lt dont il est question sont assurément le comble de la bêtise, de l'ignorance, et de la méchanceté. D'ailleurs, quand vôtre gros neveu sera revenu de Picardie, je vous prie de lui dire combien je suis touché de son attention. L'abbé Caille qui est auprès de Lyon, dit que s'il avait été informé plutôt il n'aurait pas envoié les trois voiageurs de là haut à quelques uns de ses amis. Il assure qu'il leur a recommandé le secret, et il assure encor qu'il ne le garderont pas. Tout celà vient très mal à propos; et ce pauvre abbé jure qu'il ne veut plus que dire son bréviaire, afin d'avoir un bon bénéfice. Son dessein est toujours de venir vous voir avant d'aller à son canonicat. Le tems ne parait point du tout propre pour hazarder la pièce que vous croiez être de Linan, et que je crois de feu Latouche, auteur d'Iphigénie en Tauride. Je pense qu'il faut mettre cet ouvrage au cabinet, et attendre des acteurs, des actrices, et des conjonctures plus favorables.

Si vous vous amusez, ma chère nièce, avec Guetry, vos rendez vous sans doute, seront secrêts. Le confident de vos amours est tout prêt, à ce qu'il dit, à parler un peu moins, et à chanter plus. Lorsque les deux vers dont vous parlez furent faits, il ne croiait pas être prophête, mais les poëtes le sont quelquefois. Il ne manquera pas de changer cet endroit, de peur des allusions ridicules.

Je vous embrasse bien tendrement, Monsieur le capitaine et madame marmotte. Vous ne m'avez jamais dit si vous reçûtes à Hornoy un paquet tout déchiré que vôtre ancien domestique me donna pour vous, et qui venait je crois du trésorier des troupes de Dijon. Il s'agissait d'argent comptant pour vous. J'espère qu'à la fin Monsieur Le Duc De Choiseul viendra à bout de l'entreprise de Corse. Il ne s'agit que d'y envoier du monde si les négociations ne réussissent pas. Mais tout celà coûtera bon. Si vous revenez [ ] païs vous le trouverez dans un triste état, à peine a t-on pu semer. On craint de manquer de bled l'année prochaine d'un bout de la France à l'autre.