1768-10-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Je ne sais pas ce que vous voulez dire, mon cher enfant, avec le prix de l'académie.
Il est certain que vous l'avez eu: car tout le public éclairé vous l'a donné, et il n'y a je crois, pas un seul de mes confrères qui n'ait souscrit à la fin au jugement du public. Il est démontré en rigueur que vous avez eu le prix, et si vous n'avez pas reçu la médaille, ce n'est assurément qu'une méprise.

Est-ce qu'en voyant la fortune de votre fils ainé, le comte de Varvick, vous n'avez pas une forte envie de lui donner un petit frère cadet? Je vous assure que cela ferait une très jolie famille.

Nous avons perdu un très bon académicien dans l'abbé d'Olivet; il était le premier homme de Paris pour la valeur des mots; mais je crois son successeur l'abbé de Condillac un des premiers hommes de l'Europe pour la valeur des idées. Il aurait fait le livre de l' Entendement humain, si Loke ne l'avait pas fait, et dieu merci il l'aurait fait plus court. Nous avons fait là une bien bonne acquisition.

Il y a quelque temps que je n'ai vu Mr. Hénin. Je ne puis vous dire quand il partira; je ne sais nulle nouvelle ni du monde, ni de mes voisins, je suis enterré. Il y a huit mois que je n'ai mis le pied hors de chez moi. Quand on est vieux malade on se retire bien volontiers du monde. C'est un grand bal où il ne faut pas s'aviser de paraître lorsqu'on ne peut plus danser. Pour Madame de la Harpe et vous, je vous conseille de danser de toute votre force.

Le vieux malade vous embrasse de tout son coeur.