1767-08-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Chacun a son procès dans ce monde mon cher Cicéron.
Vous plaidez pro aris et focis; et moy je ne plaide que contre la Baumelle. On m'a mandé que vraisemblablement vous seriez jugé au conseil des parties parce que l'affaire est trop compliquée pour le conseil royal. Je me flatte que vous gagnerez votre cause devant quelque tribunal que vous paraissiez. Vous m'avez fait un plaisir bien sensible en m'apprenant que ceux qui avaient trouvé d'abord quelque chose d'odieux dans le recours forcé à une loi sévère, sont revenus entièrement à vous en voyant qu'au fonds c'est une fille qui demande à rentrer dans le patrimoine de ses pères, en remboursant le prix de l'acquisition. Votre affaire envisagée sous son véritable point de vue me parait bien favorable. Je suis rempli d'espérance.

Vous me parlez mon cher Cicéron d'une dame à qui vous avez présenté mr de la Harpe qui a du crédit et qui peut le protéger. En voicy une occasion. Je demande à mr le contrôleur général qu'il fasse donner à M. de la Harpe la moitié d'une vieille pension que j'ay depuis environ cinquante ans et que je néglige fort. Cette petite grâce qui après tout ne coûterait rien au roy, tirerait un jeune homme de mérite d'un état bien triste. Son discours qui vient de remporter le prix est un très bel ouvrage. Le grand Colbert encouragea souvent de moindres talents; si vous croiez cette dame à portée d'appuier ma requête vous serez le bienfaicteur de mr et de me de la Harpe qui me paraissent joindre à leurs bonnes qualitez celle de la reconnaissance.

Mes sincères respects je vous prie à madame de Canon. Je vous embrasse très tendrement.

V.