1767-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Clément Charles François de Laverdy.

Monsieur le contrôleur général, s'il fallait, en France, pensionner tous les hommes de talent, ce serait, je le sais, pour vos finances, une plaie bien honorable, mais bien désastreuse, et le trésor n'y pourrait suffire; aussi, et quoique peu d'hommes puissent se rencontrer d'un aussi solide mérite que m. de La Harpe, ne viens je pas réclamer une pension pour ce mérite dans l'indigence; je viens simplement, monsieur, empiéter sur vos attributions et contrôler le chiffre de deux mille livres dont sa majesté a bien voulu me gratifier.
Il me semble qu m. de La Harpe n'ayant pas de pension, la mienne est trop forte de moitié, et qu'on doit la partager entre lui et moi.

Je vous aurai donc, monsieur, une dernière reconnaissance si vous voulez bien sanctionner cet arrangement et faire expédier à m. de La Harpe le brevet de sa pension de mille livres, sans lui faire savoir que je suis pour quelque chose dans cet événement. Il sera aisément persuadé, ainsi que tout le monde, que cette pension est une juste récompense des services qu'il a rendus à la littérature.

Daignez, monsieur le contrôleur général, accepter d'avance mes remerciements et croire au profond respect de votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Arouet de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi