le 19 auguste [1766]
Je ne conçois plus rien, mon cher Cicéron, à la jurisprudence de ce siècle.
Vous rendez l'affaire de m. de Laluzerne claire comme le jour et cependant les juges ont semblé décider contre lui. Je souhaite que d'autres juges lui soient plus favorables. Mais que peut on espérer? tout est arbitraire.
Nous avons plus de commentaires que de lois; et ces commentaires se contredisent. Je ne connais qu'un juge équitable, encore ne l'est-il qu'à la longue: c'est le public. Ce n'est qu'à son tribunal que je veux gagner le procès des Sirven. Je suis très sûr que votre ouvrage sera un chef d'œuvre d'éloquence qui mettra le comble à votre réputation. Votre succès m'est nécessaire pour balancer l'horreur où me plongera longtemps la catastrophe affreuse du chevalier de La Barre qui n'avait à se reprocher que les folies d'un page, et qui est mort comme Socrate. Cette affaire est un tissu d'abominations qui inspire trop de mépris pour la nature humaine.
Vous plaidez, en vérité, pour le bien de madame votre femme comme Cicéron pro domo suâ. Je ne vois pas qu'on puisse vous refuser justice. Vous aurez une fortune digne de vous, et vous ferez des Tusculanes après vos Oraisons.
Je croyais que made de Beaumont était entièrement guérie. Ne doutez pas, mon cher monsieur, du vif intérêt que je prends à elle. Je sens combien sa société doit vous consoler des outrages qu'on fait tous les jours à la raison. Que ne pouvez vous plaider contre le monstre du fanatisme! Mais devant qui plaideriez vous? Ce serait parler contre Cerbère au tribunal des furies. Je m'arrête pour écarter ces affreux objets, pour me livrer tout entier au doux sentiment de l'estime et de l'amitié la plus vraie.