23e xbre 1774
Vous êtes deux belles âmes, vous et l'autre Bertrand.
Je reçois et je lis avec transport vôtre Lettre du 13. Vous viendrez certainement à bout de l'affaire que vous entreprenez avec tant de générosité. Vous montrerez enfin aux hommes à quoi servent la justesse de l'esprit et la bonté du coeur.
Je vous ai déjà dit que je pense absolument comme vous; je ne veux point de grâce, je veux justice complette. Nous n'avons qu'un seul obstacle, mais il est grand. Un enfant de quatorze ou quinze ans, imbécile et timide, a chargé cruellement celui pour qui nous nous intéressons. Il faut écarter ce pauvre garçon qui serait très dangereux, et c'est à quoi je travaille, quoique je sois à cent cinquante lieues de lui. Il serait incapable de répondre d'une manière satisfesante s'il fallait qu'il comparût encore, et toute nôtre peinse serait perdue.
Il est impossible, et il serait très dangereux de commencer par celui qui est mort. Sa famille n'entreprendra certainement pas une telle affaire.
Il faut commencer par purger la contumace du vivant au parlement même. Il n'a contre lui que les aveux du mort, et les accusations de l'imbécile. Si nous pouvons parvenir à éclipser quelque tems ce pauvre misérable accusateur, l'accusé n'a plus à craindre que l'archevêque de Paris, ou l'abbé de Ste Genevieve. Son affaire devient la plus simple et la plus aisée, comme la plus juste.
Je ne connais que trop ce ridicule code pénal que chaque juge porte dans sa poche quand il va à la Tou[r]nelle; mais je n'en ai que la première édition de 1752. Il est bien affreux que la vie des hommes dépende de cet impertinent ouvrage, selon lequel un juge est en droit de condamner aux galères quiconque aura été à nôtre Dame de Lorette sans une permission signée de Mr le Comte de st Florentin.
Tout est arbitraire dans nôtre abominable jurisprudence. Attendons que nous aions mis le Contumace en état de se justifier pleinement, faute d'accusateurs. C'est cette justification pleine et entière que nous voulons obtenir, et rien autre chose. Si nous y parvenons la famille du chevalier fera ce qu'elle voudra; mais je doute que cette famille soit jamais aussi généreuse et aussi intrépide que vous.
Si nous ne pouvons parvenir à justifier légalement nôtre infortuné je le renverrai au Roi son maître, et j'espère que ce prince l'avancera dans le service autant par la connaissance de son mérite que par la juste indignation qu'il ressentira.
Je suis aussi outré, aussi bouleversé de cette éxécrable avanture, que je le fus le premier jour; je me trompe, je le suis d'avantage. Tous mes sentiments augmenteront avec l'âge, et surtout celui qui m'attache à vous avec une très tendre vénération.