ce 21 juillet [1767]
Il est juste, mon cher confrère, de vous laisser une seconde fois la satisfaction d'annoncer vous même à mr de la Harpe qu'il a remporté le prix d'Eloquence d'une voix unanime; ce jugement a été porté dans notre assemblée d'hier; il avoit 29 concurrens parmi les quels on dit qu'il y en avoit de redoutables mais aucun n'a tenu devant lui, et son discours est infiniment supérieur à tous les autres.
Je le regarde comme un des meilleurs que l'académie ait encore couronnés, & je ne doute point que le public n'en porte le même jugement.
Faites lui, je vous prie, mon compliment sur ce nouveaux succès, qui vraisemblablement ne sera pas le dernier, à en juger par le vol qu'il prend dans la littérature, & que je vois avec le plaisir que me donne l'intérêt que je prends à lui; je me flatte qu'il en est bien persuadé.
Il faut qu'il écrive à notre secrétaire, qui lui fera tenir à son choix ou la médaille, ou l'argent de la médaille. Il seroit bien juste que notre libraire lui donnât encore pour ce beau et bon discours un honoraire convenable, mais une loi que je trouve très injuste, rend notre libraire propriétaire des discours qui ont remporté le prix; il ne tiendra pas à moi qu'elle ne soit réformée par la suite, ainsi que la loi absurde de l'approbation des docteurs. Apropos de docteurs, j'ai remarqué dans le discours de mr de la Harpe quelques lignes rayées, qui me paroissent être de leur besogne; il me semble qu'en cela ils ont passé leurs pouvoir, les endroits rayés ne regardant ni la religion ni les mœurs; j'en conférerai avec quelques uns de nos amis, & je verrai si ces endroits là ne peuvent pas se rétablir à l'impression; au reste le fourage qu'ils ont fait est peu de chose, & le discours n'y perdra rien ou presque rien; il n'y a pas en tout la valeur de six lignes effacées.
Je vous prie de dire au neveu de l'abbé Bazin que j'ai lu avec grand plaisir la défense de feu son oncle, mais qu'il auroit bien dû me l'envoyer ainsi que tout ce qu'il fait d'ailleurs; on parle d'un roman intitulé l'Ingénu, que j'ai grande envie de lire. L'abbé Bazin, dont j'étois l'ami intime, m'a recommandé en mourant à ce neveu, qui doit respecter les volontés de son oncle, et avoir quelque égard pour ses plus zélés admirateurs. Je prie aussi ce neveu de me dire où en est la 2deédition de la destruction, et si je pourrai en avoir un exemplaire. Il pouroit me l'envoyer par mr Marin. Adieu, mon cher maître, je vous embrasse de tout mon cœur.