A Milan, ce 20 d'octobre 1768.
Monsieur,
Grâce à la pension que vous avez la bonté de me faire, je me suis trouvé en état de subsister à Milan, joint à quelques écoliers que j'avais, auxquels j'aidais à se perfectionner dans la langue française, et qui, malheureusement pour moi, quittent cette ville pour voyager.
Dans quel état vais je me trouver, grand dieu! privé de ce secours. Je vous fus autrefois utile pour écrire sous votre dictée; ne pourrai je plus vous être d'aucune utilité? Si Milan était un endroit où l'on imprimât en français je pourrais m'y occuper à corriger des épreuves, et par cette occupation me garantir de la misère qui me menace, et que vous pourriez me faire éviter, monsieur, en m'appelant auprès de vous, où je me persuade que vous devez avoir quelqu'un qui peut vous être moins nécessaire que je pourrais vous l'être.
J'espère, monsieur, que, réfléchissant sur mon état présent, et combien il est différent de celui dans lequel vous m'avez vu, vous vous porterez à le soulager, d'autant que ce changement ne m'est arrivé ni par libertinage ni par mauvaise conduite.
Lorsque m. de Cideville me procura l'honneur de vous connaître, il n'envisageait, ainsi que moi, que d'augmenter ma fortune; aurait il pu prévoir l'injustice que l'on m'a faite, et que ma ruine totale devait s'ensuivre?
Je me flatte que, touché de mon triste sort, vous m'honorerez d'une réponse qui dissipera cet avenir affreux que j'envisage, et que je ne puis éviter sans vos bontés. Dans cette confiance, permettez que je me dise avec respect,
monsieur,
votre très humble, &c.
Jore, chez m. le comte Alari