1736-07-15, de Simon Henri Dubuisson à Joseph de Seytres, marquis de Caumont.

…Les procès dont m. de Voltaire était menacé ont éclaté, il en a eu trois pendant le séjour qu'il a fait ici: un aux conseils avec le sieur Bauche qu'il a perdu sur un chef et gagné sur un autre.
Il était question d'une compensation de somme à somme entre Bauche et lui, qu'il refusait de faire, et qui a été ordonnée, et d'une diminuée que Bauche prétendait sur le prix d'Alzire, à cause de l'édition de cette pièce en Hollande; de laquelle diminution Bauche a été débouté parce qu'il n'a pu prouver par aucun écrit de m. de Voltaire qu'il ait eu part à cette édition.

Un autre au Châtelet contre un tailleur qui lui demandait 500 livres pour d'anciennes façons et fournitures d'habits. On avait opiné au serment de m. de Voltaire, mais comme il se présentait pour le faire, m. le lieutenant civil, en le fixant, lui demanda quand et comment il avait payé? Ces questions le troublèrent, il dit qu'il avait des quittances; m. le lieutenant civil lui donna acte de sa déclaration et remit la cause à huit jours pour la production de ces prétendues quittances et à défaut être ordonné ce que de raison. Je ne sais comment cette affaire a tourné, j'ai pourtant vu, depuis, un mémoire imprimé, où m. de Voltaire dit positivement qu'il a retrouvé les quittances en question et conséquemment je crois qu'il a gagné.

Enfin le troisième procès qu'il a essuyé a été contre Jore, imprimeur, qui lui demandait 1400 livres pour les frais de l'édition des Lettres philosophiques. M. le garde des sceaux, qui voulait empêcher que cette affaire n'éclatât, avait chargé m. Héraut de la finir, et l'on avait décidé que m. de Voltaire donnerait 1000 livres à Jore, moyennant quoi celui-ci lui rendrait la lettre qui prouvait qu'il était l'auteur des Lettres philosophiques. Mais m. de Voltaire n'ayant pu se résoudre à donner cette somme, et Jore, de son côté, criant à l'injustice sur la réduction de la demande, la médiation n'a pu avoir lieu et le procès a commencé au Châtelet. Jore a publié un mémoire dont l'historique a paru assez malin, pour que le public et m. de Voltaire lui même aient soupçonné l'abbé Desfontaines. Au reste, les preuves du droit de Jore n'ont acquis quelque force que par la faiblesse des réponses que m. de Voltaire y a faites par deux petitis mémoires qui annoncent que dieu ne lui a pas donné le talent d'écrire en ce genre. Sa défense consiste principalement en fins de non recevoir qu'il oppose à Jore, et ses amis ont été d'autant plus fâchés qu'il y fût réduit, que les fins de non recevoir ne sonnent guère mieux chez les séculiers que les dévolus parmi les ecclésiastiques. Il est pourtant vrai qu'on est quelquefois obligé d'y avoir recours, mais, en ce cas, malheur à ceux dont la réputation n'est pas bien entière.

L'affaire se poursuivait lorsque l'autorité du ministère est encore venue au secours de m. de Voltaire. On a eu peur que la lettre dont Jore s'appuyait ne fût réclamée par m. le procureur général, et on l'a contraint à la rendre; la condition, à ce que l'on m'a assuré, c'est que m. de Voltaire lui donnerait 500 livres; mais au lieu de le faire, on veut qu'il ait écrit à m. Héraut qu'il ne devait et ne payerait rien et qu'il soit retourné à Cirey, pour éviter la réplique. Ce dernier fait me paraît si étonnant, si fou, que je ne puis le croire. M. de Voltaire, hardi comme il est à composer et à imprimer, a besoin de la bonne volonté des ministres, et ce serait s'en priver que d'en agir comme on veut qu'il ait fait. S'il m'est permis de hasarder ce que je pense sur cet auteur et les procès qu'il vient d'essuyer, je vous dirai que je crois qu'il ne devait rien des sommes qu'on lui a demandées, mais que l'étalage fastueux de ses générosités qu'il a fait dans la préface d'Alzire, a ameuté ses ennemis et les a fait manœuvrer pour lui susciter des demandes, et que la manière dont il a toujours usé avec les libraires et le public pour les éditions de ses ouvrages a accrédité tous les soupçons qu'on a voulu donner de sa bonne foi. Assurément, il a fait un triste voyage ici! Il était venu pour jouir de sa réputation et il n'y a trouvé que des soucis et des peines!…