à Strasbourg le 14 octobre 1768
M., Vous aimez les belles actions, & personne n'est plus capable que vous d'en faire éclater la renommée, & de les transmettre à la postérité avec toute la gloire & la réputation qui leur appartiennent: en voici une authentique & digne d'une grande célébrité, qui cependant est malheureusement tombé dans l'oubli.
Au combat de Clostercamp, m. d'Assas capitaine dans le régiment d'Auvergne, s'étant avancé pendant la nuit pour reconnaître le terrain, fut saisi par des grenadiers ennemis embusqués pour surprendre notre armée; ces grenadiers l'entourent & le menacent de le poignarder sur le champ s'il fait le moindre cri qui puisse les faire découvrir. M. d'Assas sous la pointe de vingt bayonnettes se dévoue, crie d'une voix généreuse, à moi, Auvergne, ce sont les ennemis, & tombe à l'instant percé de cent coups. On sait que le régiment d'Auvergne soutint le premier effort des ennemis, les repoussa, & qu'il s'ensuivit une victoire complète.
L'histoire de ces Romains qui étaient sûrs d'obtenir des statues couronnées, fournit elle une action plus grande & plus glorieuse que celle-ci? L'Europe & la postérité l'ignoreront elles? Non, monsieur, vous la célébrerez, vous en illustrerez votre nation, & le brave corps de l'esprit duquel elle est émanée: nous ne la surpasserons pas, mais nous nous piquerons de l'égaler & d'en fournir encore de semblables dans les fastes de l'histoire de France; heureux les siècles, heureuses les nations qui produisent en même temps des Agricola & des Tacite; des Assas & des Voltaire, &c.