ce 9 juillet [1768] de Paris
Vous verrez Monsieur que l'homme qui m'a forcé pour ainsi dire de Consulter sur cette donation n'a pas eu tort.
Vous ne m'avez point fait donner ma procuration pour vous mettre en mon lieu et plasse. Je n'ai point accepté la donation, par conséquand la donation ne vaut rien pour moi. Elle appartient aux éritiers et même comme elle n'est faite qu'en mon nom et qu'elle ne vaut rien pour moi, il serait très posîble que mr le duc de Virtimberg chicana et ne paiât rien du tout. Heureusement vous verez par la consultation qu'il y a de la ressource si mon Oncle veut se prêter. Je ne doute pas qu'il ne le fasse si l'on lui propose. Je connais son coeur et sa façon de penser. Je lui ai les plus grandes obbligations. Je suis très sûre qu'il ne voudrait pas me retirer un bienfait pour faire son éritier le Duc de Virtimberg. Malgré cela je ne sçaurais me résoudre à lui en parler et je vous suplie de n'en rien faire.
Tant que mon Oncle vivera je suis bien convincue que je ne manquerai de rien. Si j'ai le malheur de le perdre la perte des biens n'est pas ce qui exiterait mes regrets, et l'on vit à tout prix, ou l'on meurt, ce qui est tout bien considéré un fort peti malheur.
Ne croiez pas nom plus que je vous sache mauvais gré de l'oubli qui s'est glissé dans cette affaire. Comme les édits sur les donnations sont nouvaux ils ne vous seront pas tombés sous les yeux. Les donnations entre vif sont si rares que je conçois qu'il passe rarement de ces sortes d'affaires par les mains. Il y a peut d'hommes à tous égards comme mr V. Aussi je sens mieux qu'un autre ce qu'il vaut par ce que je le connais mieux.
J'oubliais de vous dire que la donation que mon Oncle a faite à mon frère, mon neveu et ma soeur est bonne, par ce qu'il est dit dans le contrac que c'est de leurs deniers, ce que vous n'avez pas mis dans les miens. Et depuis on leur a fait accepter encor cet acte par devant notaire, ainsi ils sont en reigle. Je vous envoie cette consultation Monsieur par ce que vous l'avez exigé de moi, mais au nom de l'amitié ne parlez de rien à Mon Oncle àmoins qu'il ne passât à Colmar et que vous ne trouvassiez une occasion très favorable. Encor peut être vaudrait il mieux ne rien dire du tout. J'aimerais mieux mourir de fain si je lui survit que de faire des choses qui pussent lui faire soupçonner que j'aie pu avoir quel que vue d'intéres en m'attachant à lui, par ce que rien n'est si faux. Je l'ai toujours aimé pour lui et nom pour moi. Conservez moi votre amitié et ne soiez point affligé de cette affaire. Si je retourne à Fernex comme je l'espère, il y a apparence que cela poura s'arrenger et que je pourai trouver le moment de dire à mon Oncle les choses comme elles sont faites. Mille tendres complimens pour moi à mme Dupon et ne doutez pas des sentimens avec les quels je serai toute ma vie Monsieur
Votre très humble et très obéissente servante
Denis