1768-06-16, de Anne Marguerite Feydeau à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis sortie de ma maison comme j'ai eu l'honneur de vous le mander trois mois après la détention du chever de Labarre.
J'ai d'abord été très bien reçue de ma famille, j'étois munie d'un petit extrait des charges et informations du procès que je leur fit voir. Ils trouvèrent tous qu'il n'i avait pas dequoi s'alarmer sur cette affaire, mais ils me dirent qu'ils ne pouvoient rien faire que la procédure ne fût arrivé à Paris. On devoit l'envoyer à cause de l'appel du décret des deux derniers décrets. Elle arriva enfin, fut adressé à mr Boullenois, substitut du procureur général. Mr Dormesson, président à mortier, qui avoit déjà parlé de cette affaire avec ce substitu, me dit de ne pas aller luy parler avant qu'ils eussent vus ensemble de quoi il étoit question. Quelque jours après le président me menda par la petite poste que je pouvois aller chés mr Boullenois, que ce qu'il avoit à me dire n'étoit pas aff[l]igent. J'i fus. Il me fit entrer dans son cabinet. Je vis sur sa table l'énorme procédure. Il me dit qu'il l'avoit examiné, qu'il n'i avoit pas de quoi foueter un chat. Ce sont ses propres parolles que je fut sur le champ rendre au président. Comme mr de Soecour, assesseur criminel d'Abbeville m'avoit fait dire avant que j'en partisse par mr de Fontaine major son ami qu'il faloit que je luy fisse écrire des lettres de Paris sur l'affaire qu'il n'osoit pas décider seul, mais qu'il agiroit avec bien de la conffiance d'après les lumières du président Dormesson, je me servit de cet offre que je croyois sincère mais qui ne l'étoit pas pour engager le président Dormesson et mr Boullenois à écrire au juge d'Abbeville ce qu'ils pensoient sur cette affaire, ce qu'ils m'accordèrent sans peinne. Le président écrivit à mr de Soecour, et luy mandat que les accusations dont on chargoit le chever de la Barre étoient des fautes qui regardoient plustost la correction d'une famille que la sévition du ministère public, qu'il le prioit de conduire cette affaire avec toute la douceur dont elle étoit susceptible. Mr Boullenois écrivit une lettre emplement détaillé au procureur du roy d'Abbeville pour luy prescrire la marche de cette affaire. Il luy marquoit qu'il faloit un plus emplement informé pour ce qui regardoit le sieur Detalonde, admoneste les deux prisoniers et les renvoyer et mettre hor de procès, les deux autres décrétés. Le président m'a dit avoir lue cette lettre et l'avoir luy même mise à la poste avec la siene dans la cour du palais. Les officiérs de justice d'Abbeville furent plus d'un mois à faire réponse. Aubout de ce tems mr de Soecour répond au président la lettre ci jointe. Pendant ce tems tout le présidial D'Abbeville refuse de connoitre de l'affaire sous différend prétexte. Il ne ce trouve qu'un seul conseiller avec l'assesseur. Comme il faloit un troisième juge l'assesseur choisit un avocat nomé Broutel qui n'avoit jamais avocassé et qui pour son coup d'essai condanne deux hommes à mort. Ce Broutel n'a de sa vie été avocat que de nom, sa profession étant de ce mêler de toute sorte de négoce. Il vend jusqu'à des cochons. Il m'a vendu à moy même du bois de chauffage. C'est un homme noté de fait grave et flétrissant et méprisé généralement. Mr de Villers, conseiller, l'un des juges, est un imbécil reconnu pour tel. Mr de Soecour, premier juge en cette affaire, m'en vouloit de plus loing, parce que j'avois eu contre son gré une de ses parentes pentionnaire chés moy dont il étoit le curateur. J'avois marié cette jeune personne qu'il réservoit pour son fils. Cette demoiselle avoit un frère qui étoit aussi sous la même curatelle. Je luy avois conseillés de prendre garde et d'éclairer la conduitte de ce curateur afin qu'il ne luy fit pas de tort. J'ai tout lieu de croire que ce conseil que j'avois donnés de la meilleure foy du monde luy a été rendu et a achevé d'en faire mon ennemy.

Pour revenir à notre affaire, j'étois dans la plus grande sécurité d'après les démarches du président et de mr Boullenois lors que j'apris la nouvelle de l'affreuse sentence d'Abbeville. Je courus chés tous mes parents pour voir ce qu'on pouvoit faire. Mrs Dormesson me dirent que cette sentance étoit extravagante, qu'il étoit impossible qu'elle fût confirmé à Paris, qu'ils alloient tout employer pour la faire casser. Se sont leur propres termes. Le président me dit qu'il faloit nomer un raporteur, je le priai de faire nomer mr Pelot. Dès qu'il le fut j'alai chés luy le solliciter. Il me promis tout ce qu'on peut en pareil cas. Je retournai quelque tems après. Je trouvai mon homme fort effrayé et fort allarmé, me plaignant beaucoup de m'intéresser à une affaire si malheureuse. Comme je luy demandois ce qu'il y avait donc de si affreux dans cette affaire il me répondit que le fait le plus grave étoit une chanson. Je crus qu'il étoit fou mais il agravat tellement ce crime que je fus convaincu qu'il pensoit comme il me parloit. Il me dit que le seul parti à prendre étoit d'obtenir une lettre de cachet pour arrêtér toute procédure, Je courue rendre cette conversation au président qui me dit que tout cela ne devoit pas m'inquiéter, que cette affaire ce présentait toujours au plus noir à la première vue, qu'en l'esaminant de plus près on en prenoit une idée plus avantageuse, que quand à une lettre de cachet ma famille ne la demanderoit pas parcequ'il faloit s'adresser au vice chancelier qui avoit succédé à mr de Brou. J'us beau le presser je ne put le faire changer de disposition à ce sujet.

Comme je voulois faire un voyage en basse Normandie chés ma soeur marié dans ce pais, je retournai chés mon raporteur luy demander si j'aurois le tems avant le jugement de l'affaire. Il me dit que oui, qu'elle ne seroit pas jugée si tost à cause de celle de mr de Lalie, qu'il me prometoit de m'avertir, que je pouvois être tranquille et partir. Fatal voyage qui a accéléré tous mes malheurs! Je parts après en avoir averti mes parents le 1er may. Le 7 juin suivant je reçois une Lettre de mon raporteur datté du 29 may qui m'aprend que mon affaire doit être jugé le 5 juin, que je viene au plus vite à Paris. J'en étois à plus de 60 lieux. L'impossibilité de m'i rendre avant le jugement me fit prendre le parti de rester où j'étois. Le parlement confirma l'horrible sentance dans tout ses points. De ce moment le public et ma famille ce déchaina contre moy et me crut coupable de tous les crimes. Mr de Marville fut chargé de m'annoncer tous mes malheurs. Il écrivit à ma soeur ainsi qu'à moy que la catastrophe de mon malheureux parent retomboit sur moy de la façon la plus terrible et la plus flétrissante, qu'il faloit que je me démisse de mon abbaye, si non qu'on m'envoyeroit par lettre de cachet très loing dans un couvent où je serois tenue de très cour, qu'en atendant il faloit donner ma parolle d'honneur de ne pas sortir de chés ma soeur sans quoi j'aurois sur le chams une lettre de cachet. Je donnes ma parolle de rester chés ma soeur et je refusai tout net ma démission. Mr l'év. d'Orleans me mendat que le roy pensoit que je ne pourois jamais retourner à Abbeville. Toutes les personnes qui m'environnoient ainsi que mes proches ne cessoient de me tourmenter pour quiter mon abbaye. Presque tous mes amis me disoient la même choses en m'esagerent les maux qui devoient résulter de mon opiniâtreté. J'étois seule contre tout, je tins bon malgéré tout, mais comme j'étois fort désagréablement chés ma soeur qui est une dévote et une genseniste outré sans savoir ce que c'est je demendé à mr l'év. d'Orleans d'aller dans un couvent de mon ordre, ce que j'obtins. Quelque tems après je passai cinq mois dans cette abbaye où je recevois lettre sur lettre de mr de Marville pour avoir la démission de mon abbaye fondé sur les plaintes des religieuses de ma maison qui avoient écrie en cour contre moy et sur les sollicitations de l'évêque d'Amiens mon ennemi notoire, pour me mettre à l'abri de tant d'importunité et pour que l'év. d'Amiens ne fût pas nomé commissaire de la cour faire une visite régulière dans ma maison. Comme mr de Marville m'en menaçoit je demendai à l'abbé de Cisteaux mon supérieur un commissaire de l'ordre. Malheureusement son choix tombat sur le prieur Dugard, homme entièrement dévoué à l'évêque d'Amiens de qui il espéroit une bonne abbaye, en me sacrifiant à ses vües. Plain de ses idées il vint dans mon abbaye, fit une visite régulière, écouta les plaintes des religieuses, les mit par écrie signé d'elles, les mécontentat toutes en aparences pour les mieux servir en réalité. Il dressa un procès verbal des dépositions des religieuses contre moy dans le quel il ne fit aucune mention de la bonne administration qu'il trouva malgré les clameurs qu'avoient faittes les religieuses dans toutes leur lettres que ma maison était ruiné. Cette imposture dont il voyoit évidament la fausseté auroit dû luy rendre suspect toutes les autres charges. Il reçeut les dépositions des religieuses quoi qu'il sçût qu'elles avoient concerté ensemble par écrie ce qu'elles vouloient dire contre moy. Il a encore en main les dit billets sans en avoir fait le moindre usage en ma faveur. Non contant de tout cela cet indigne moine fut remettre le procès verbal des dépositions dans les mains de l'ev. d'Amiens quoi qu'il eût promis de l'envoyer directement à l'ev. d'Orleans qui ne le remis à celuy ci qu'après avoir fait les observations que ses préjugés contre moy luy suggérèrent. Il n'a été fait dans ledit procès verbal aucune mention de l'esprit de cabal et d'animausité qui avoient animé les religieuses contre moy. On n'a point fait valloir leur fausses imputations en sorte qu'il n'a paru que ce qui étoit à mon désavantage. Je n'ai été admise à aucune deffense puisque je n'y étois pas et qu'on ne m'a rien communiqué. Je n'ai sue les charges qu'indirectement et sans même qu'on ait voulu que je susse de qui elles me venoient. J'ai apris depuis, que c'étoit mr de Marville qui les avoit fait copier d'après le procès verbal pour m'être envoyé. Les voici comme je les ay reçu.

'Plusieurs religieuses se sont plainte que vous aviés fait jouer aux cartes dans votre parloir, qu'on y avoit dansé, que vous y aviés donné plusieurs fois des concerts entr'autres le jour de la mort d'une religieuse, que ses concerts avoient troublés plusieurs fois l'office et les religieuses qui étoient au confessional au point qu'elles n'entendois plus ce qu'elles disaient. Elles se sont plaintes aussi de ce que vous aviés un jour laissé entrer des masques dans le dortoir et le chaufoir, que vous aviez fait habiller le chevalier en religieuse.

D'autres on dit que vous vous promeniés souvent dans les jardin avec des hommes entr'autre mr Dumeniel, que vous vous étiés même promené sur les remparts de la ville avec luy, que cet homme venoit souvent à l'abbaye et entroit souvent, qu'on l'avoit vue dans votre chambre fumant sa pipe et en robbe de chambre.

Elles ont dit aussi que vous aviés fait danser des jeunes gens dans le réfectoire, que vous aviés engagés quelques unes de vos jeunes religieuses à danser, que craignant de vous désobéir elles l'avoient fait uniquement par complaisance.

D'autre ont dit que vous aviés fait tirer plusieurs feux d'artifice, que vous aviés fait entrer plusieurs personnes de différend sexe pour les voir par la grille de votre parloir, que mr St Aubin à qui on avoit proposé d'i passer l'avoit refusé, et qu'un homme pour procurer au public le plaisir de voir cet artifice avoit fait un échafaud dont il loüoit les places, que vous aviés souvent des jeunes gens à souper avec vous, qu'ils ne se retiroient qu'à minuit passé et sortoient par la grille de votre parloir.

D'autre ont dit que vous n'aviés pas eu soin de vos religieuses en maladie, que vous ne les alliés pas voir, que vous n'aviés pas une certaine piété, que vous n'aprochiés des sacrements que tout au plus deux fois l'an.

D'autre on dit qu'elles vous avoient toujours remarqué un fond de religion, qu'elles ne pouvoient que perdre au change, qu'elles ne trouveroient jamais une si bonne abbesse que vous.

Une autre a dit que si vous aviés fait quelques fautes c'étoit manque d'espérience, qu'elle étoit persuadé qui si vous retourniés à Abbeville, vous vous y conduiriés mieux que par le passé atendu la leçon que vous veniés d'avoir.

Une autre a dit qu'elle avoit assés de ses obligations sans çe mêler des vôtre, qu'elle n'avoit jamais rien vüe de répréansible dans vos moeurs ni dans votre conduite et qu'elle souhaitoit votre retour.

Les trois jeunes proffesses ont dit qu'elles vous avoient l'obligation de leur état, que c'étoit vous qui les aviés faittes religieuses, qu'elles étoient encore au noviciat, qu'elles n'avaient pas le bonheur de vous voir souvent, que dans le peu qu'elles Vous voyoient elles n'avoient rien vüs qui pût leur occassionner la moindre plainte'.

Au moment que j'us pris lecture de ses accusations j'envoyai mes réponses pour être montré à l'ev. d'Orlans conçus à peu près en ses termes. Il est vrai que j'ait fait joüer aux cartes dans mon parloir, que j'i ay fait danser deux fois en deux ans les jours de ma feste.

Il est vrai qu'on m'i a donné deux ou trois concerts en quatre ans mais il est faux qu'on les ai jamais exécutés pendant l'office et les confessions des religieuses. La preuve en est que je les ai toujours prié di venir et qu'elles y ont toutes étés présente chaque fois.

Il est faux que j'aye jamais fait entrer aucune masque dans mon abbaye. C'étoit des demoiselles pentionnaires qui se sont habillé en berger et bergère au carnaval sans déguiser leur sexe et sans masque. Il est vrai qu'on a habillé le chevalier en religieuse mais en présence de plusieurs personnes et avec la plus grande décence. A l'égard de l'article qui regarde mr Dumeniel, cet objet a été jugé à mon avantage par mr l'abbé de Vaucelle, commissaire de mr l'abbé des Cisteaux en 1762. Au reste cet homme n'a jamais été dans ma chambre — ni fumant sa pipe ni en robbe de chambre. Il est vrai que j'ay fait danser dans le réfectoire les personnes qui me sont venus voir le jour de ma feste seulement parce que je n'avois pas de parloir atendu qu'on y travailloit. Il est vrai qu'on m'a donné des feux d'artifice les jours de ma feste et que j'ai fait entrer plusieurs personnes par la grille par raport à la populace, qui assailloit la porte de clôture que j'avois fait fermer à clef. Quand à l'échafaud qu'un particulier a fait pour faciliter la vue du feu d'artifice c'étoit dans la rue et je n'avois pas le droit de l'empêcher. Il est vrai que j'ai souvent donné à souper aux personnes distingués qui me venoient voir de la ville ainsi qu'à leurs enfans. On ne c'est jamais retiré plus tart que dix heure et demie et on sortoit par la grille pour ne pas troubler le repos des religieuses.

Il est faux que je n'aye pas eu soin des religieuses en maladie ni que je fusse pas les voir puis que je n'atendois pas même qu'elles fussent à l'infirmerie, pour m'aquiter de ce devoir. J'ai moy même pensé les playes de plusieurs et leur ai donné nombre de fois moy même les autres secours dont elles avoient besoin. J'aurois pu m'en tenir à les faire donner par d'autre. Ce trait d'ingratitude me déchire l'âme.

Il est faux que je n'aprochasse des sacrements que deux fois l'an. A l'égard de la piété et de la religion je la respecte et l'honnorerés toujours.

Ses réponses ont été remise exactement à mr l'év. d'Orleans, la sienne fut une lettre de cachet qui me deffendoit de retourner à mon abbaye et qui m'ordonnait de rester dans celle où j'étois en Normandie. Je récrivis à ce prélat pour me plaindre de cet injuste procédé et pour luy dire que je pouvois pas absolument rester dans cette maison où ma santé dépérissoiet à vue d'oeil et où j'étois trop mal à tous égard. Il me répondit sur le chams que le roy consentiroit que j'alasse dans une autre maison, pour vue que ce ne soit ni dans le diocèse de Paris ni dans celuy d'Amiens et pourvu que j'obtiene le consentement de mr l'abbé de Cisteaux et celuy de la supérieure de la maison que je choisirois. J'obtins aisément l'agrément de l'abbé de Cisteaux qui m'a toujours été favorable dans toutes mes affaires. Celuy de la supérieure chés qui je voulois aller étoit plus difficile. On m'avoit déjà refusé par lettre dans plusieurs maisons. Personne ne vouloit de moy tant la calomnie m'avait noirci par tout. Je passai par dessus cette dificulté et je partit pour l'abbaye de Fervaque en Picardie. L'abbesse me reçut comme une avanturière. Dès que je luy eut dit mon nom, elle me répondit que je n'étois plus de ce monde, que j'avois eu la question ordinaire et extraordinaire, que j'avais été exécuté, qu'en un mot je n'existois plus et que mon nom seul lui fesoit horreur. Elle ajouta beaucoup de reproche de ce que j'étois venus sans l'en prévenir et me pria de partir le lendemain, ce que je fis avec la plus grande douleur rien n'ayant pue la fléchir. C'étoit une sainte et les saints de ce siècle n'ont pas le coeur tendre. Ne sachant où aller et me voyant sur le pavé avec une lettre de cachet sur le corps je m'adressai à un abbé de l'ordre près de là pour le prier de me placer au plus tost dans un couvent quelconque. Il m'adressa à l'abbaye de Baupré en Flandre. Je fis quatre vint lieux pour y arriver, compris le chemin que j'avois fait pour Fervaque. Le lendemain de mon arivé j'écrivis à mr l'évêque d'Orleans qu'en conséquence de sa dernière lettre, j'étois partie de la Normandie et que j'étois de la Veille à Baupre en Flandre. Mais quel fut mon étonement lors que ce prélat me mendat que le roy n'avoit pas pu s'empêcher de rire de mon imprudence, de mon étourderie et ma désobéissance d'être sortie de la Normandie avec une lettre de cachet sans en avoir eu une autre qui me permit d'en sortir, qu'il m'adressoit deux autre lettres de cachet, l'une pour rester à Baupré et l'autre pour ordonner à l'abbesse de m'i garder avec permission néamoins de me promener à quatre lieux à la ronde. Je luy récrivit que j'étois destinée à faire toujours des fautes sans le savoir et sans le vouloir, qu'ignorent les formalités d'une lettre de cachet j'avais crue pouvoir sur sa lettre changer de lieu, que j'étois de la meilleure foy du monde puisque je luy en avais donné avis sur le chams. Il me répondit qu'il c'étoit bien douté que c'étoit par ignorance que j'avais agis, qu'il l'avait dit au roy, mais que je ne m'avisasse pas de reccomencer parce qu'on ne me la passeroit pas deux fois et cette affaire fut finie. Il eut même l'atention d'écrire dans la maison qu'on eut pour moy tous les égards que je méritois. Je passai huit mois dans cette maison seule vis à vis de moy même sans voir qui que ce soit ni du dedans ni du dehors, en horreur à toutes les religieuses et essuiant de leur part tout ce que peut suggérer une aveugle prévention appuié d'une dévotion hébété et mal entendue.

Il me faloit manger avec des moines adonnés au vin, brutaux et qui n'avoient pas le sens commun. Quoi que j'usse mené là la conduitte la plus régulière l'ev. d'Amiens a dit et m'a mendé que je m'i étois mal conduite, que j'avais fait enrager les religieuses et que celles de ma maison en prenoient titre pour s'oposer à mon retour dans ma maison. Pour sortir de celle où j'étois si malheureuse j'écrivis lettre sur lettre à ma famille et à mr l'ev. d'Orleans pour luy demander la main levé de ma lettre de cachet et la permission de rendre chés moy. J'obtint cette main levée au mois de novembre dernier mais non le retour dans mon abbaye. On me permit de choisir encore une autre maison en exceptant toujours le diocèse de Paris et d'Amiens. On me promit de ne me point donner d'autre lettre de cachet pour vue que je donasse ma parolle d'honneur de ne pas rentrer dans mon abbaye sans l'agrément de mr l'év. d'Orleans. Comme j'avais été si mal traité dans les maisons de mon ordre je me suis réfugiés dans un petit couvent de filles de St François qui n'est qu'à six lieux de mon abbaye où je suis depuis ce tems et dans laquelle je manque de tout en payant une pention fort cher. L'évêque d'Amiens ne cêce de m'i persécutér en enveniment toutes mes actions. Il me reproche de faire gras quand je suis malade, de ne pas aller assés souvent à l'église et cent autre bêtise dans ce genre. Cependant c'est luy seul qui m'enpêche de rentrer dans ma maison sous ses vains prétextes. Ma famille étant tout à fait revenue de ses préjugés sur mon comte elle me marque encore tout ressament que mr l'év. d'Orleans ne peut pas rompre en visière l'év. d'Amiens, que cet de luy dont faut avoir le consentement. Mais comment l'obtenir, comment amolir un coeur de quatre vint six ans endurci par la dévotion la plus éclatante? O Monsieur je respecteres toujours la religion et la piété, mais qu'il résulte des terribles éffets de cette même piété dans les hommes. Elle est le masque de leur vice et de leur pation. Si un l'év. d'Amiens qui passe par tout pour un saint sacrifie depuis près de trois ans une personne à sa vangeance et à son ressentiment personel qu'en peut on conclure? Il connoit l'injustice des religieuses à mon égard, il sçait que je n'ai fait aucun crime, il répond à toutes les représentations qu'on peut luy faire à ce sujet. Je ne suis pas mort, tout mon crime est son existance, Jugé comme je suis coupable. Cependant mon absence de chés moy me mets sans cece à la merci d'un public méchant qui ne juge que sur les aparences. Chacun fait mon histoire comme il veut et personne comme elle est. Mes parents ne me parlent plus de démission, au contraire ils me permetent de comter sur un retour certain dans mon abbaye; mais ils médisent qu'ils ne croyent pas que je puisse l'obtenir tant que vivra l'éternel év. d'Amiens. Je n'ay plus qu'une ressource, qui est dans le nouveau vicaire général de l'ordre pour la Picardie. On dit que c'est un fort honnête homme. Comme l'arrêts du roy pour les affaires monastiques ordonne qu'il soit fait des visites régulière dans toutes nos maisons j'ai prié celuy qui est pour notre province de demender que je soit présente à la visite de mon abbaye. Il me paroit plain de bonne volonté, et de zèle pour me rendre service, reste à savoir quel en sera le succès. Voilà Monsieur le récit fidel de mes disgrâces et l'état actuel des choses. Si j'avais plus de talents je l'us fait plus court et plus éloquent, mais la vérité n'a pas besoin d'art et la bonté qui vous fait prendre intérêts à mes infortunes peut me faire espérer votre indulgence pour le récit!