1760-09-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théodore Tronchin.

Mon cher Esculape est toujours bienfaisant.
C'est son essence. Je suis sensiblement touché de ce qu'il fait. Je luy représente seulement qu'il n'est point du tout décent qu'on sorte de chez moy sur une espérance qui après tout peut n'être pas remplie, et qu'on soit dans le cas de me reprocher d'avoir renvoyé une personne à qui on doit des égards, pour la laisser solliciter du pain à Paris.

Si mr Tronchin veut écrire à mad. de Muy, et luy demander ses bons offices auprès de M. l'év. d'Orleans pour en obtenir une pension sur les économats, qui vaque rarement et qu'on donne plus rarement encor à des catholiques, si M. Tronchin di-je a la bonté de solliciter cette grâce Madelle Bazincour sera au nombre des personnes qu'il a favorisées et à qui il a fait du bien. Pour moy je ne peux absolument entrer dans cette affaire, ce n'est point à moy à l'engager à partir. Je ne veux pas encor une fois m'exposer au reproche de luy avoir fait quitter le certain pour l'incertain. Si elle va à Paris elle n'aura pas de quoy courir pour solliciter. Il faut aller à Versailles, il faut être au lever des patronnes et au coucher des patrons. Elle n'est pas assez riche pour aller demander de l'argent à Paris. Six mois en fiacres seulement, mangeraient les pensions qu'elle espère. En un mot j'admire la bonté de mon cher Esculape. Mais je me lave les mains du bien qu'on veut faire à melle Bazincour, et je ne luy dirai même pas un mot de tout cela. Mais je dis à mon cher Tronch. qu'il est adorable.

V.