19e mai 1762
Mes divins anges, je suis un peu retombé, mais Tronchin dit toujours que je me relèverai; je voudrais qu'on pût en dire autant de la France et de la comédie, je les crois pour le moins aussi malades que moi; je crois le Kain furieusement occupé.
Il était naturel qu'il écrivît un petit mot à mad. Denis qui ne l'a pas mal reçu: mais les héros négligent les campagnards.
Me permettez vous de vous adresser cette lettre d'un Anglais pour mr le comte de Choiseul? Il demande un passeport pour s'en retourner en Angleterre par la France; je ne sais si cela s'accorde, et si vous permettez à vos vainqueurs d'être témoins de votre misère. Au reste, le suppliant ne vous a jamais battus, c'est un jeune homme qui aime tous les arts, et qui jouait parfaitement du violon dans notre orchestre. Je doute, malgré tout cela, qu'il lui soit permis de passer par Calais. Je serais bien fâché de demander à mr le comte de Choiseul, quelque chose qui ne fût pas convenable.
Je vous supplie d'ailleurs de lui dire combien je suis touché de la bonté qu'il a eue, de s'intéresser pour mon triste état.
Vous ne me répondez jamais sur l'œil de mad. de Pompadour; cependant je m'y intéresse: j'ai vu, il y a quinze ans, cet œil fort beau, et je serais fâché de sa perte. Dites moi donc aussi quelque chose de la comédie de Henry 4. Il me semble qu'elle doit tourner la tête à la nation.
Je me flatte de voir mr de Pondevele à la Marche, au mois de juillet, mais si ma mauvaise santé, et Pierre Corneille me privent de ce plaisir, je lui conseillerai de passer par Ferney en s'en retournant par Lyon, et je lui donnerai la comédie.
Adieu mes adorables anges. Tronchin nous quitte probablement au mois d'octobre pour mr le duc d'Orleans, et il fait fort bien; et moi je veux prendre le prétexte un jour de l'aller consulter, afin de n'avoir pas à me reprocher de mourir sans avoir eu la consolation de vous revoir.
V.