1768-05-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Il serait bien étrange, ma chère nièce, que vous n'eussiez point reçu ma Lettre qui est partie le 11, et qui a dû arriver le 17 au plus tard.
Elle était adressée à Madame Denis, rue d'Anjou au marais, à Paris. La Lettre et l'adresse étaient de la main de Bigex. Outre cette Lettre, je vous ai écrit depuis un petit billet par lequel je vous priais de m'envoier une déclaration de Made Faÿ, qui certifiât qu'il manquait 81 mesures à l'avoine dont on me demande le paiement; c'est un nommé D'Elver de St Claude, qui demande cet argent d'une denrée qu'il n'a pas fournie.

Wagniere vient de se coucher pour un grand mal de tête, l'ami Bigex continuera. Il vous dira que la chose très décente que j'ai faite laquelle fait rire ceux qui rient de tout, était absolument nécessaire pour faire taire deux dogues mitrés qui aboyaient dans ce pays-ci. C'est ce que vous pouvez dire au Mecene de Versailles en cas que vous puissiez le voir. Mais le danger où est la Reine pourra fort bien vous empêcher d'aller à Versailles; rien ne presse, mais vous ferez ce qui vous paraitra convenable.

Panckoucke se moque du monde. On lui a déjà lavé la tête dans le petit prologue de la Guerre de Geneve, on la lui relavera encore. Il se conduit ridiculement. J'attendrai que le gros Turc soit à Paris et que votre gros neveu ait quitté la robe à manteau pour la robe noire, on sera toujours assez à temps de signer le compte de Laleu.

Vous ne commencerez pas probablement sitôt vos arrangemens pour votre maison de votre rue Bergere, et moi pendant ce temps là je ferai vos foins et votre moisson.

Le Président de Brosses jure toujours qu'il vous a envoyé une explication de son infâme contrat; plus il jure moins je le crois. Je vous demande en grâce de m'envoyer un petit mot, un petit billet séparé qui contiendra deux ou trois lignes par lesquelles vous certifierez que jamais vous n'avez reçu de la part de M. de Brosses un seul mot qui regardât le contrat qu'il a fait avec moi. Je finis par vous dire, ma chère nièce, que si vous n'avez pas reçu mes deux dernières lettres elles seront probablement restées au grand bureau, par ce que le nom de la maison où vous demeurez n'était pas sur l'adresse, et que peutêtre le facteur ne se sera pas assez bien informé.

M. Dupuis attend de jour en jou[r M.] Borcet qui ne vient point et qui est attendu ici depuis un mois. J'embrasse sa petite femme, comptez que je vous aime autant que je vous ai jamais aimée.