Ce 11 may 68
Ne prenés point je vous en suplie, monsieur, mon silence pour oublie.
C'est un sentimens que je ne connaitray jamais vis à vis de vous. Je voudrais vous le prouver; les échos ont retentit pendant Longtems de Monsieur de Voltaire; j'ay eu le plaisir de le deffendre, et de me voir toujours vainqueur, car je suis trop vrai, pour lui dire que l'on ne lui en voulais pas, sans sçavoir pourquoy. Tout le monde raisonnais à la française, ainsi que cela se pratique. Pourvue que l'on parle, qu'importe ce que L'on dis? Je demandais des preuves, des faits, on ne répondais, que par des on dit, ou par des j'ay oui dire; tristes et sottes réponses des imbécils! qui malheureusement l'emporte souvent, sur des faits; je joignais aux faits des preuves d'après la certitude que j'en avais grâce à votre confiance en moy, monsieur, dont je n'abuseray jamais je vous assure, mais dont je voudrais toujours proffiter, pour être apportté de vous faire rendre justice: je n'ay pas crue pouvoir mieux faire, que de la confier à ce respectable ministre, qui en aura sûrement fait un bon usage, et aura remplis vos désirs. Il a été bien touché de Votre souvenir, il veut qu'il n'i ait que lui qui s'occuppe de ce qui peut avoir rapport à vous, monsieur; ami et protecteur de La vérité et de l'honneur, il ne veut point s'en écarter; ce qui rendra l'ouvrage beaucoup plus long à finir à cause de la vie ambulante qu'il est obligé de mener, mais le rendra plus intéressant et plus vray; armés vous donc de patience, je vous en conjure, faite moy part je vous prie du moment à peu près où il vous le faudrais, un mot seul me suffira, je ne veux point abuser de votre tems; il est bien plus libre maintenant que vous êtes garçon; je n'ay point vue icy, les habitantes de Ferney. N'en ayant point entendu parler à leur arrivée, j'ay conservé L'incognito, m'imaginant par leur silence qu'elle le désirais.
Si cet homme respectable avait finit d'icÿ au mois de juillet, je pourais, monsieur, avoir le plaisir de passer par Fernay, en allant en Coscé, où nous devons étrent rendus pour Les mois d'aoust. Vous dire pourquoy, je ignore, mais je ne présume pas que Les affaires s'i arrange pacifiquement, soit de la part des habitans de L'intérieure du royaume, soit des puissances voisines; à l'égard des villes et ports, nous en sommes en possession; lorsque j'i seray rentré si vous le désiraÿ, je vous feray part des événemens qui s'i passeront.
Il y a longtems, monsieur, que je crois comme vous avoir plus que du respect, pour la dame dont vous me parlés. Je désirerais qu'elle me paye d'un même retour, mais elle ne veut accorder d'autres sentimens que l'amitiée, et sers de tout son esprit, pour ôter tous les moyens et se garantir des pièges que l'on peut Lui tendre. Elle a beau faire, je l'aimeray et la respecteray toujour, elle Le mérite par touttes sortes de raisons, mais surtout par son amitiée pour vous monsieur, qui ne peut point égaler celle que j'ay pour vous monsieur de Voltaire ainsi mon sincer et respectueux attachement.
W.