9^e May 1766 à Ferney

Je n'ai point encor vu M^r vôtre frère, Monsieur; mes maladies qui augmentent tous les jours, m'empèchent d'aller à Genêve où le droit négatif tourne toutes les têtes de la petite fourmillière; mais j'ai eu le bonheur de voir à Ferney mad^e De Gentil et Mad^e D'Aubonne.
Quand aurai-je celui de vous embrasser?

Le héros dont vous me parlez, fait bien de l'honneur à Genêve de gratifier de sa présence une ville où l'on ne trouve à présent que des tracasseries. Il fait le tour de L'Europe comme Germanicus faisait celui de son camp, pour jouïr de sa gloire, ut fruerétur fama sui. Les Echos de nos montagnes ont retenti de ses belles actions aussi bien que ceux du païs d'Arminius. Je ne suis qu'un vieux malade mourant, mais j'imagine que je reprendrai des forces en le voiant seulement passer.

Voilà vôtre ami M^r Le Prince de Ligne en possession d'un bel héritage. Je ne sais pas si son âge lui permet de compter parmi ses joiaux la Toison d'or de son père; je vous prie de ne me pas oublier quand vous lui écrirez. Il m'a paru avoir une espèce de philosophie qui s'accorde tout à fait avec la mienne.

Adieu, Monsieur, Mad^e Denis se joint à moi pour vous dire combien nous vous aimons, et à quel point nous vous regrettons.

V.