ce 25 [February 1737]
Je ne sçai rien de rien.
Si vous savez de mes nouvelles, mon respectable et généreux amy, vous me ferez un sensible plaisir de m'en aprendre. Je ne compte point voir cet hiver le prince de Prusse. Ce sera pour cet été, si en effet je me résous d'y aller. En attendant je m'occuperay à l'étude, j'auray des secours où je suis, et je ne perdray pas mon temps. On le perd toujours dans une cour. Je sacrifie àprésent l'idée d'une tragédie, à la phisique à la quelle je me suis remis. Neuton l'emporte sur le prince royal, il l'emportera bien sur des vers alexandrins, mais je vous jure que j'y reviendray puisque vous les aimez.
Le genre de vie que je mène est tout à fait de mon goust, et me rendroit heureux si je n'étois pas loin d'une personne qui avoit daigné faire dépendre son bonheur de vivre avec moy.
Mandez moy je vous prie vos intentions sur notre enfant. Je n'écris point à mademoiselle Quinault, je compte que vous joindrez à toutes vos bontez celle de l'assurer de ma tendre reconnaissance.
Si cet enfant a en effet gagné sa vie, je vous prie de faire en sorte que son pécule me soit envoyé tous frais faits. C'est une bagatelle, mais il m'est arrivé encor de nouvaux désastres, j'ay fait des pertes dans le chemin.
Soufrez que je joigne icy une lettre pour Tiriot le marchand. Adieu, on ne peut être plus pénétré de vos bontez. Adieu les deux frères que j'aimeray et que je respecteray toutte ma vie.
Vous pouvez m'écrire à Leide chez mr de la Pierre, négociant, mais ne dites point cette adresse. Vous pourez faire mettre une lettre de change dans le paquet, soit sur Amsterdam soit sur Roterdam. Mon adresse est à mr de Révol chez m r de la Pierre à Leide; et point de V. Je vous suplieray encor de faire dire à Tiriot le marchand qu'il vous envoye la réponse, et surtout qu'il ne sache point cette adresse de Leide. Adieu encor une fois. Vos bontez ne sortiront jamais de mon cœur.