27e avril 1767
Après vous avoir écrit, mon cher ange, et vous avoir envoié un éxemplaire des Scithes corrigé à la main, je suis obligé de vous écrire encor.
La nouvelle édition à laquelle on travaille à Genêve sera achevée dans deux jours, et il a fallu envoier la pièce telle qu'elle est en Hollande, pour prévenir l'édition qu'on y allait faire suivant celle de Paris. Me voilà donc engagé absolument à ne plus rien changer. On traduit cette pièce en Italien et en hollandais; les éditeurs et les traducteurs auraient trop de reproches à me faire si je les gênais par de nouveaux changements.
Je vous dirai encor, que plus je réfléchis sur l'idée de la nécessité d'un mariage en Scithie, et sur l'addition d'un monologue au 2d acte, plus je trouve ces additions entièrement opposées au Tragique. Tout ce qui n'est que de convenance est froid, et ce monologue dans lequel Obeide s'avouerait à elle même son amour, tuerait entièrement son rôle; il n'y aurait plus aucune gradation. Tout ce qu'elle dirait ensuitte ne serait qu'une malheureuse répétition de ce qu'elle se serait déjà dit à elle même. Je préfère à tous les monologues du monde, ces quatre vers que vous et madame D'Argental m'aviez consillés,
En un mot, je vous conjure d'engager le premier gentilhomme de la chambre à éxiger de Mollé une ou deux représentations. Celà ne peut nuire à sa santé. Le rôle d'Indatire n'est point du tout violent, et il n'y a guères de principal rôle comique qui ne demande beaucoup plus d'action. Il serait fort triste et fort déplacé que Lacombe à qui j'ai rendu service, refusât de sacrifier ce qui peut lui rester de son édition, pour en faire une plus complette, surtout lorsqu'il ne lui en coûte que cent écus pour Le Kain. Je peux bien donner à Le Kain les cent autres écus, puisqu'en d'autres occasions je lui ai donné cinq ou six fois davantage.
J'envoie à Le Kain par cet ordinaire un éxemplaire conforme aux vôtres, à un ou deux vers près. J'ai oublié à la page 45,
au lieu de
Je crois aussi qu'à la page 73 il faut,
au lieu de
Je me jette à vos pieds, et je vous demande mille pardon de tant de tourments; mais je vous suplie que je vous aie l'obligation de la représentation que je demande aux Comédiens, et de l'édition que je demande à Lacombe, édition d'ailleurs, dont je lui achêterai deux cent éxemplaires pour envoier aux académies dont je suis, et dans les païs étrangers. Je me mets à vos pieds mon cher ange, toujours honteux de mes importunités, et toujours le plus importun des hommes.